Notes personnelles
C'est à Pierre Marie Jérôme Trésaguet (né 15 janvier 1717 Nevers - dcd 1796 à Paris), ingénieur en chef de la généralité de Limoges, réputé avoir appliqué la première approche scientifique dans la construction des routes vers 1760, que l'on doit les premières études sérieuses sur la construction des chaussées. Il les expose dans un mémoire rédigé en 1775...
Son revêtement était composé d'un hérisson (soubassement épais en pierre d'environ 17 cm), d'un empierrement (environ 17 cm), et d'une couche d'usure en gravier fin (8 cm).
Méthode de Trésaguet, ou ancienne méthode française.
M. Trésaguet paraît avoir été le premier ingénieur qui ait construit avec soin des routes en empierrement. Les procédés qu'il employa sont décrits dans un mémoire inséré dans les Annales des ponts et chaussées, 1831, 2e semestre, page 243. Voici, sommairement, en quoi ils consistaient.
Lorsque les terrassements avaient été exécutés et les pentes réglées conformément au projet, on creusait au milieu de la route un encaissement destiné à recevoir les matériaux qui devaient composer la chaussée. De chaque côté de cet encaissement, on posait un rang de bordures en forts moellons, de 0m.30 à 0m.40 de hauteur, ayant à peu près la forme de prismes triangulaires, dont les arêtes supérieures venaient affleurer la surface ile la route, et séparaient les accotements de la chaussée. Entre les deux rangs de bordures parallèles, on plaçait au fond de l'encaissement une couche de 0m.15 à 0m.20 de hauteur en pierres de champ, serrées l'une contre l'autre, et battues à la masse, de manière à former une espèce de pavage irrégulier. On remplissait les vides que ces pierres laissaient entre elles avec des éclats et de la pierraille ; puis on posait au-dessus, une seconde couche en pierres grossièrement cassées, de 0m.08 à 0m.10 de diamètre, par exemple. Enfin, sur cette deuxième couche, battue comme la première, on répandait, à la pelle, une troisième couche, en pierres cassées à la grosseur d'uue noix. On réservait la pierre la plus dure pour cette dernière couche.
M. Trésaguet variait d'ailleurs la forme de ses chaussées suivant les pentes longitudinales. Dans les pays de montagnes , il faisait des chaussées creuses, et dans les plaines , des chaussées bombées , dont la flèche était à peu près le trente - sixième de la corde. Il obtint ainsi de fort bonnes routes. A la vérité, il trouvait facilement, dans le Limousin, des matériaux de bonne qualité, et ses chaussées étaient établies presque partout sur un sol ferme et résistant.
Dans un certain nombre de départements, on ne donnait pas assez d'attention au cassage et au choix des matériaux. Les pierres étaient beaucoup trop grosses et souvent mêlées de terre et de débris. L'emploi même était négligé. On recommandait bien aux cantonniers de curer la chaussée, et d'enlever la boue avant de répandre la pierre ; mais on n'y tenait pas toujours la main assez soigneusement, et il arrivait souvent, surtout dans le répandage général qui se faisait à l'entrée de l'hiver, que les ouvriers jetaient la pierre au milieu de la boue.
De tout cela il était résulté que, vers 1820, la plupart de nos routes étaient véritablement fort mauvaises, et donnaient lieu à des plaintes très-vives.
Méthode de Mac-Adam.
Ce fut à peu près à cette époque (1820) qu'on commença à parler, en France, des améliorations qu'un ingénieur anglais , M. MacAdam , avait obtenues, par des moyens très simples, sur quelques unes des routes les plus fréquentées de la Grande-Bretagne.
Dans l'état où se trouvaient nos routes, et lorsque les inconvénients de la méthode suivie pour leur entretien étaient devenus si manifestes, les idées de M. MacAdam n'eurent pas de peine à s'introduire chez nous. Il paraît même que quelques ingénieurs français avaient déjà été conduits, par leurs propres réflexions, à essayer d'un système à peu près semblable à celui que l'ingénieur anglais avait mis en pratique sur une plus grande échelle. Ce système était en effet la conséquence naturelle d'une observation que tout le monde avait pu faire.
S'il est vrai que la viabilité d'une route en empierrement dépend essentiellement du maintien de la couche de pierres cassées qui forme sa surface ; s'il est vrai que cette couche une fois traversée, la route devient bientôt impraticable, parce que les roues, pénétrant dans les joints que laissent entre elles les pierres des couches inférieures, bouleversent et détruisent la chaussée de fond en comble ; n'est-il pas naturel de penser que ces couches successives en pierres d'inégale grosseur sont à peu près inutiles, et qu'on pourrait très-bien les supprimer, sauf à augmenter l'épaisseur de la couche en pierres cassées, et à donner plus de soin à l'exécution de cette couche, qui formerait alors à elle seule tout le massif de la chaussée ?
Telle était l'idée qu'avait eue M. MacAdam. N'admettre dans sa composition des chaussées que de la pierre cassée, telle était la base de son système. ll a toutefois modifié, sur quelques autres points, les procédés d'exécution, et on lui doit plusieurs perfectionnements de détails assez importants.
Au lieu de creuser un encaissement, et d'y enfouir les matériaux qui doivent composer la chaussée, Mac-Adam relève, autant que possible, le sol sur lequel l'empierrement doit reposer, afin que les eaux s'écoulent facilement vers les terres riveraines, et que le fond de la chaussée se maintienne sec.
Il fait casser toute la pierre à une grosseur à peu près uniforme, correspondant au poids de six onces environ. Ce poids de six onces représente le maximum de grosseur; et c'est avec une balance que les agents chargés de la surveillance, s'assurent que les matériaux ne sont pas de trop fortes dimensions.
Il veut que les tas soient triés et nettoyés avec soin, et ne contiennent que de la pierre pure ; il exclut sévèrement toutes les matières crayeuses ou argileuses, et toutes les substances qui ont de l'affinité pour l'eau.
Il préfère la pierre cassée au gravier. Cependant, lorsqu'il n'a à sa disposition, pour construre une route, que des matériaux de cette dernière espèce, il les fait passer à la claie et purger soigneusement de tout mélange de terre ; il rejette les graviers ronds, et choisit de préférence les plus gros, pour les faire casser, parce que les matériaux anguleux se lient plus facilement.
Lorsqu'il s'est procuré une quantité suffisante de matériaux bien nets et bien cassés, il les répand sur le sol préparé pour les recevoir, en une seule ou en plusieurs couches, selon que l'épaisseur de la chaussée doit être plus ou moins forte.
Dans les cas les plus défavorables , et lors même que la chaussée repose sur un. terrain marécageux et compressible, il pense qu'une épaisseur de 0m.25 de pierre cassée suffit pour former une très-bonne route.
Malheureusement pour Tourny, le siège de Barentin était fait d'avance : aucun raisonnement ne portait. L'intendant de La Rochelle épuisait son crédit auprès du contrôleur général à contrarier les initiatives de son collègue de Limoges. Mieux : il allait réussir Orry, en janvier 1740, avait acquiescé au changement de route proposé par Tourny. Barentin le pressait de rapporter sa décision. Voici en quelques termes, le 2 août 1741 d'Ormesson mettait Tourny au courant de l'affaire :
«La lettre que M. Barentin vous a écrite le 17 juillet dernier et de laquelle il m'a envoyé copie (1) contredit les faits sur la confiance desquels M. le Contrôleur général avait consenti au changement de la route de Poitiers à Bordeaux et cette contradiction rend indispensable la levée des plans que je vous ai demandés par ma lettre du 3 du mois dernier.
Je prierai M. Barentin de fournir ceux de la partie qui le concerne et jusque là tout demeurera suspendu à son égard au lieu que votre projet peut être continué sans interruption dans la seule vue de communiquer Poitiers avec Angoulême.
«Je suis avec respect...»
Dans le courant de novembre, Barentin n'en prévenait pas moins son collègue de Limoges que le Conseil refusait l'autorisation de poursuivre les travaux de la route à travers la forêt royale de Chardin, qui se trouvait - on le sait - dans la généralité de La Rochelle. Tourny d'écrire aussitôt à d'Ormesson qu'il y a certainement maldonne.
«A Limoges, le 27 novembre 1741.
Monsieur,
Persuadé que je suis que l'examen de mon projet de porter par Angoulême la route de poste de Paris à Bordeaux ne lui sera qu'avantageux et que, plus le Conseil aura de connaissance de l'état des choses, plus il m'approuvera d'avoir cherché à épargner beaucoup de dépense et à joindre en même temps la commodité générale du commerce de Paris à Bordeaux avec l'utilité particulière de ma généralité, je n'ai eu aucune peine à recevoir la lettre par laquelle vous m'avez fait l'honneur de m'écrire le 2 août dernier que la contradiction présentée par M. Barentin des faits, sur la confiance desquelles M. le Contrôleur général avait agréé le changement de route, rendait indispensable la levée des plans de l'ancienne et de la nouvelle. J'ai eu même, Monsieur, d'autant plus lieu d'en être content que vous me faisiez l'honneur de m'ajouter que, jusqu'à la levée de ces plans, tout demeurerait suspendu à l'égard de M. Barentin, c'est-à-dire par rapport aux travaux de l'ancienne route, au lieu que mon projet pouvait être continué sans interruption dans la seule vue de communiquer à Angouléme.
En effet, Monsieur, soit que la décision du Conseil sur le passage de la poste la laisse où elle est établie, soit qu'on la transporte par Angoulême, il est également nécessaire que cette ville et tout ce qui est derrière elle communiquent aisément d'un côté à Bordeaux et de l'autre à Poitiers, que, par conséquent, le chemin en soit réparé suivant les dessins qui en ont été pris. Cependant, Monsieur, dans l'impatience où j'étais de voir arriver un arrêt du Conseil dont, au mois de mai dernier je proposais à M. Barentin de faire la demande pour aligner le chemin d'Angoulême à Bordeaux, dans la forêt de Chardin qui forme, à deux lieues et demie d'Angoulême, une langue de terre de sa généralité enclavée dans la mienne, je lui écrivis, ces jours derniers, pour savoir si cet arrêt était expédié et le prie en cas qu'il le fut, d'aller en avant sur son exécution, ou de me l'envoyer pour la suivre comme nous en étions convenus, mais j'ai été fort surpris d'apprendre que, lorsqu'il vous avait écrit contre le projet de la nouvelle route, il vous avait en même temps demandé de suspendre l'exécution dudit arrêt, dont il avait adressé le projet à M. de Baudry. Sans doute, Monsieur, qu'il ne songeait point, alors qu'il en était besoin, indépendamment du changement de route, et qu'il ignorait que vous pensassiez que de façon ou d'autre, la réparation de la communication d'Angoulême à Poitiers et à Bordeaux devait être continuée. Je lui écris aujourd'hui, Monsieur, pour lui j représenter ces deux points et l'engager à ne point s'opposer davantage audit arrêt.
Je vous supplie qu'en conséquence l'expédition n'en soit pas plus longtemps différée, afin qu'on puisse profiter de l'hiver pour le travail qui doit s'ensuivre. Tout ce qu'on a voulu faire à la route de Paris à Bordeaux, lors du départ de Madame de France pour l'Espagne (2) donne l'idée qu'avant peu d'années, il pourrait arriver telles circonstances où l'on serait fâché d'avoir négligé de perfectionner à peu de frais une partie de 20 lieues qui se trouve de nature h être la plus belle de la route, ainsi que la plus commode pour les lieux de couchées.
J'ai l'honneur d'être avec respect, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur.
DE TOURNY.
(1) Nous n'avons pas pu retrouver ce document.
(2) Louise-Elisabeth de France, fille ainée de Louis XV, que l'on appelait Madame Première et qui fut la seule des six filles du Roi à se marier. Née le 17 août 1727 elle épousa le 26 août 1739 - par procuration - l'infant d'Espagne Don Philippe, troisième fils de Philippe V, qui allait devenir, par suite des traités d'Aix-la-Chapelle en 1748, duc de Parme, de Plaisance et de Guastalla. - Les cérémonies du mariage terminées, ainsi que les fêtes données à cette occasion à Versailles et à Paris, la jeune princesse gagna l'Espagne à petites journées, pour lui épargner toute fatigue. L'itinéraire avait été préparé avec force ménagements. En dehors des nuitées quotidiennes, il y avait un repos complet tous les trois ou quatre jours. La route, à ce que semble indiquer Tourny fut réparée pour permettre un voyage commode. - Le 11 septembre, la princesse et sa suite étaient à Châtellerault ; le lendemain, elles arrivaient à Poitiers ou elles restèrent trois jours ; puis le voyage se poursuivit par Saintes et Blaye qu'elles n'atteignaient que le 23 septembre. Elles franchirent la frontière franco-espagnole le 13 octobre seulement. On remarque que le cortège princier évita la traversée de l'Angoumois, sans doute en raison du mauvais état des chemins.
Et de la même encre, le même jour, le 27 novembre 1741, il répondait à Barentin :
«Vous m'étonnez, Monsieur, lui disait-il, en m'apprenant que l'expédition de l'arrêt pour l'alignement du chemin dans la forêt de Chardin a été sursise. Vous verrez par la copie ci-jointe de la lettre de M. d'Ormesson du 20 août dernier que je n'avais pas lieu de m'y attendre. En effet, quelle que soit la décision du Conseil sur le passage de la poste, soit qu'on la laisse où elle est établie, soit qu'on la transporte à Angoulême, il est également nécessaire que la distance de cette dernière ville à Barbezieux soit réparée pour donner à l'Angoumois, au Limousin qui est derrière lui, et à plusieurs autres provinces une communication facile et commode avec Bordeaux ; c'est en conséquence que j'ai fait exécuter cette année les ponts, chaussées et autres ouvrages projetés dans cette distance.
Je vous supplie donc de ne point opposer à la demande que je vais faire à M. d'Ormesson dudit arrêt relativement à ce que dessus, même de vouloir bien concourir aux choses que je trouverai à propos en hiver pour mettre en état cette communication.
J'ai l'honneur d'être, etc... »
Mais Barentin ne se laisse point fléchir. Il rétorque à son correspondant que la décision du Conseil doit être appliquée - et l'interprétation qu'il en donne est évidemment différente de celle admise par Tourny. - Il lui dit le 7 décembre 1741 :
«La lente de M. d'Ormesson, Monsieur. dont vous m'avez fait l'honneur de m'envoyer une copie, fait sentir que l'intention du Conseil est de surseoir aux travaux de la route d'Angoulême à Barbezieux jusqu'à ce que votre ingénieur et et celui de ma généralité aient dressé des plans des deux routes afin de constater les faits sur lesquels nous ne paraissons pas être d'accord. Dans ces circonstances, je pense qu'avant de ne rien faire, il convient d'attendre la décision que donnera M. le Contrôleur général, après qu'il aura examiné nos plans réciproques.
Je suis, etc...»
A peine arrivé à Limoges, cette lettre valait à son auteur la parfaire réplique que voici et que Tourny expédia le 18 décembre.
«Permettez-moi, mon cher confrère, de vous représenter que vous vous traitez rigoureusement en ne vous prêtant point à ce que j'ai eu l'honneur de vous demander pour l'alignement du chemin dans la forêt de Chardin et en donnant à la lettre de M. d'Ormesson une interprétation contraire à ce chemin. Le Conseil, avant de décider par quel endroit passera la route de poste de Paris à Bordeaux, veut que les plans des deux côtés lui soient présentés pour s'assurer de ce qui sera le plus convenable. Rien n'est plus dans l'ordre, mais il ne désire pas que le chemin dont Angoulême a besoin pour communiquer soit avec Poitiers, soit avec Bordeaux, reste dénué des réparations qui lui peuvent être nécessaires. Cette proposition résiste à la justice et à la prudence de son administration.
Quand M. d'Ormesson parle dans sa lettre de la communication d'Angoulême avec Poitiers, il est évident qu'il a entendu pareillement celle d'Angoulême avec Bordeaux, qui est encore plus nécessaire que l'autre, en ce que de Limoges on passe par Angoulême pour aller à Bordeaux. Je vous prie donc de vous rendre à une chose qui n'intéresse point notre petite contestation, qui ne serait pas moins nécessaire à faire quand l'ancienne route subsisterait et qu'exige l'utilité publique.
J'ai l'honneur d'être, etc...»
Le lendemain même du jour où cette lettre partait pour La Rochelle, le Conseil, avec éclat, donnait raison à Tourny contre Barentin sur l'un des points litigieux qui existaient alors. Les arguments de ce dernier étaient écartés, ceux de notre constructeur de route admis. La percée de la forêt royale de Chardin, dans la paroisse:de Saint-Estèphe, qui dépendait - nous le savons - de la généralité de La Rochelle, était enfin autorisée. Le sous-intendant chargé des eaux-et-forêts l'annonçait à M. d'Ormesson en ces termes :
«A Paris, le 21 décembre 1741.
Monsieur,
Il a été rendu, le 19 de ce mois, un arrêt qui ordonne la vente des bois étant dans l'alignement du nouveau chemin qui conduit d'Angoulême à Bordeaux, passant au travers de la forêt appelée de Chardin. appartenant au Roi. Je vais, Monsieur, faire expédier cet arrêt et dès que je l'aurai, je l'adresserai au grand Maître des eaux-et-forêts du département de Poitou, afin qu'il tienne la main à son entière exécution.
Je suis avec respect, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur.
DE BAUDRY.»
M. d'Ormesson ne perdit pas de temps, lui aussi. Il avisait Tourny dès le 27 décembre :
«Monsieur.
L'arrêt qui ordonne essartement de la forêt du Chardin, dans l'étendue de l'alignement que vous avez fait tracer, a été rendu le 19 de ce mois, et M. de Bandry, qui l'a fait signer, vient de m'écrire qu'il en adressera dans peu de jours l'expédition au grand-Maitre des eaux-et-forêts du Poitou, pour le faire exécuter. Je suis, etc...»
L'Angoumois relevait de la Grande-Maitrise des eaux-et-forêts de Poitou et était lui-même divisé en deux maitrises particulières, celle d'Angoulême et de Cognac, chacune englobant dans son territoire un certain nombre de grueries. Moins d'un mois après qu'il était rendu, l'arrêt du 19 décembre 1711 était enregistré à la maitrise d'Angoulême, le 22 janvier l742, et l'adjudication accordée dans l'été qui suivit. Le travail devait être en principe achevé avant la fin de l'année. Comme l'écrit M. Lhéritier, le savant historien qui réhabilita Tourny, celui-ci faisait pousser fiévreusement les travaux de la nouvelle route. En 1741, l'oeuvre était avancée.
Et d'ajouter que notre intendant se refusait de l'interrompre «en dépit des ordres, formels qu'il reçut de ses chefs, impressionnés par les doléances de quelques ingénieurs et de certains intendants envieux de leur collègue».
Du reste, les moments les plus difficiles étaient passés. L'administration des ponts-et-chaussées, à cette époque, revêtait sa forme définitive. Le service était véritablement constitué la charge du détail donnée à un intendant nouveau. Daniel Trudaine, dont on avait apprécié les excellentes méthodes administratives en Auvergne, allait prendre la direction générale des ponts-et-chaussées, pour l'illustrer pendant vingt-six ans. Son fils d'abord. Trudaine de Montigny, pendant huit ans, l'un de ses collaborateurs, Chaumont de la Millière, ensuite, pendant quinze ans, devaient marcher sur ses traces et continuer l'entreprise. Avec de pareils animateurs, si bien faits pour le soutenir désormais, nul doute que Tourny ne mène à bonne fin l'oeuvre commencée. Aussitôt que Trudaine fut installé à son poste, il le saisit de l'affaire en ce sens :
«A Limoges, le 29 mai 1742.
Monsieur,
J'ai proposé de changer la route de Paris à. Bordeaux, depuis Chaunay jusqu'à Barbezieux, et de la faire passer par Angoulême. Ce changement a d'abord été approuvé par M. le Contrôleur général, sur les mémoires que j'ai envoyés, accompagnés des plans de la nouvelle route. Ensuite. M. Barentin l'ayant contredit. M. le Contrôleur général ayant jugé à propos que la décision en fut suspendue jusqu'à ce que les plans de l'ancienne route eussent été fournis de sa part, pour faire connaitre laquelle des deux routes méritait la préférence. Comme c'est dans ce temps-ci que mon confrère s'est proposé de faire lever ces plans, voudriez-vous bien, Monsieur, prendre connaissance de l'affaire et lui donner un mouvement qui la conduise bientôt à sa fin. Je ne vous répéterai rien de tout ce que j'ai déjà écrit à ce sujet, je vous prie seulement d'en prendre lecture, en vous faisant représenter les lettres qui sont au bureau des Ponts-et-Chaussées, dont l'état sera ci-joint.
J'espère que vous y connaîtrez que nous ne serions pas en différend, M. Barentin et moi, s'il ne donnait pas plus à l'intérêt particulier de son département qu'au bien général du public et à l'épargne des fonds des Ponts-et-Chaussées. J'ai l'honneur d'être, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur.
Tourny.»
Sur la nature de cette lettre, le nouveau directeur écrivit le 4juin :
«Me rapporter les lettres mentionnées dans l'état ci-joint et tout ce qui concerne cette affaire.» Trudaine voulait étudier le dossier ; il ne tarda pas à entrer dans les vues de Tourny, qui lui répondait bientôt :
«A Limoges, le 22 juin 1742.
Monsieur,
Je vous suis infiniment obligé de vos bonnes dispositions à me seconder pour perfectionner la communication d'Angoulême à Poitiers et à Bordeaux. J'espère qu'au moyen de ce que vous mandez à M. Barentin, non seulement il n'éloignera plus l'exécution de l'arrêt du Conseil rendu le 19 décembre dernier, pour l'alignement du chemin d'Angoulème à Bordeaux, au travers de la forêt du Chardin, mais encore qu'il prendra des mesures pour mettre en état la partie de la Saintonge qui se trouve entre l'extrémité de l'Angoumois et la ville de Barbezieux, où se rencontre l'ancienne route. Cependant, quelle que soit là-dessus mon espérance, je crois qu'il ne sera pas inutile, pour en accélérer l'effet, que vous ayez la bonté d'en presser, de temps en temps, M. Barentin, parce que, étant constant. (comme Monsieur, voilà me le mandez très bien, et l'ai toujours pensé) que je ne puis travailler plus efficacement pour parvenir à l'objet que je me propose en perfectionnant la partie du chemin par Angoulême ; aussi M. Barentin sent-il qu'il ne peut mieux nuire à mon objet qu'en laissant non faites les parties de ce chemin qui dépendent de son département ; par conséquent, s'il persistait dans son idée, ces parties n'iraient point ou iraient bien lentement.
J'ai tellement pensé que le meilleur moyen d'arriver à mon but était de commencer par former le chemin en question et de le perfectionner autant que je pourrais ; que, dans la partie d'Angoulême à Poitiers, s'étant trouvé une étendue de la Saintonge enclavée dans l'Angoumois de 7.292 toises du pont de Churet à Mansle, j'ai demandé à M. Barentin la permission de la faire faire, et, l'ayant bien voulu, je ne me suis pas embarrassé d'y dépenser des fonds de ma Généralité que j'aurais fort désiré employer. Au surplus, Monsieur, ce n'est pas seulement M. Barentin qui doit être invité à entrer dans ce qui concerne le chemin par Angoulême; du côté de Poitiers, il y a une distance de 5.230 toises dans le Poitou, depuis le village de chez Lemort jusqu'à Chaunay. M. Le Nain a très bonne volonté pour la faire faire. Il en est convenu, il me l'a promis. Il l'a écrit au Conseil. Il fit même tracer cette partie l'année dernière ; mais il n'a pas à ce sujet autant d'impatience que moi. IL souhaiterai fort qu'il lui en fut inspiré. Cette étendue est un pays plat, d'un terrain assez solide laquelle n'a besoin - moins, à l'effet d'être suffisamment ébauchée pour le passage et pour un passage fort praticable - que d'être fossoyée suivant les alignements tracés, regalée dans différent endroits et le cailloutage sortant des fossés jeté au milieu pour la bomber, le tout sans aucun ouvrage de maçonnerie ; travail, par conséquent, que les corvées pourraient aisément faire en peu de temps, après la récolte prochaine. La façon dont elle se prépare me fait, Monsieur, infiniment regretter, que je n'aie point de fonds dans l'Etat du Roi, pour m'aider à employer celles de ma généralité cette année et l'hiver prochain comme je souhaiterais, pour achever bien des endroits et en achever d'autres. Ne pourriez-vous pas m'autoriser à faire à ce sujet quelques dépenses par anticipation ? Je tacherais d'en tirer bon parti.
J'ai l'honneur d'être avec respect, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur.
Tourny.»
Atlas de Trudaine : route royale par Ruffec.
Lorsque ces lignes parvinrent à Trudaine, le 27 juin 1742, il les annota de la sorte :
«Ecrire à M. Le Nain (l'intendant de Poitiers) qu'il paraîtrait convenable de faire travailler à cette partie du chemin qui est dans sa généralité et que, s'il veut bien en faire faire le devis par l'ingénieur qui sert près de lui, je tâcherai de lui procurer des fonds pour y travailler l'année prochaine.»
«Demander à M. de Tourny quels sont les ouvrages qu'il voudrait faire faire par corvée et combien il lui faudrait de fonds pour les mettre en mouvement.»
Le 30 juin 1742, une lettre rédigée dans ce sens était envoyée à Tourny. Elle était bientôt suivie d'une seconde, ainsi conçue :
« 30 août 1742
Monsieur,
Je viens de recevoir une lettre de M. Barentin par laquelle il me donne avis que l'ingénieur de son département a levé les plans de la route de Poste de Paris à Bordeaux dans l'étendue qui le concerne, et qu'après avoir rapporté ses différentes opérations sur une seule carte, il retournera sur les lieux le 15 du mois prochain pour constater ses alignements. Il demande que, pour lors, les ingénieurs des trois généralités se trouvent ensemble à un endroit convenu et qu'ils dressent leur rapport des deux routes, en les parcourant l'une après l'autre, les plans à la main.
Je ne vois pas de meilleur moyen pour se mettre en état de décider la question et je vous prie d'y concourir de votre part en vous concertant avec M. Barentin sur le temps et sur le lieu auxquels il faudra que votre ingénieur aille joindre le sien. Je fais la même prière à M. Le Nain.
Je suis, etc...»
Immédiatement, Tourny donna l'ordre à l'ingénieur Ponchon, qui depuis plusieurs années connaissait parfaitement la question, de se rencontrer avec ses collègues de Poitiers et de La Rochelle. Mais s'ils exécutèrent ensemble le voyage d'inspection, commandé en haut lieu, ils ne se mirent point d'accord sur les conclusions à tirer. Ponchon crut devoir rédiger un rapport spécial en son « particulier». Ce rapport - le seul qui soit arrivé jusqu'à nous, est instructif parce qu'il nous renseigne sur l'état des travaux de la route d'Espagne, peu de temps avant que Tourny n'abandonne la Généralité de Limoges pour celle de Bordeaux et qu'il constitue avec les explications qu'il donnera, le meilleur témoignage en faveur de son initiative. Nous, ingénieur du Roi, ayant la conduite et inspection des ponts-et-chaussées de la généralité de Limoges, nous étant transporté au bourg de Chaunay en Poitou pour, en exécution des ordres du Conseil, visiter la partie de l'ancienne route de poste de Paris en Espagne, depuis Chaunay jusqu'à Barbezieux, comme aussi de la nouvelle route proposée qui part du même lieu de Chaunay passant par Ruffec, Mansle, Angoulême, Roullet et se termine à Barbezieux nous serions partis de Chaunay le dix-neuf septembre 1742, accompagné de MM. Gendrier et Baudoin, et, ayant pris l'ancienne route de poste, nous aurions fait, pendant ledit jour et autres suivants, les remarques et observations ci-après détaillées jusqu'à Barbezieux,
Savoir :
1e Que, depuis Chaunay jusqu'à Montjean, (1) le chemin y est passablement bon dans un pays de plaine en terres fortes ; il conviendra de caillouter le nouvel alignement d'un bout à l'autre;
2e Que, depuis Montjean jusqu'à Villefagnan, (2) le chemin y est très mauvais, si tellement sinueux et traversé par d'autres chemins qu'il est facile de s'y égarer ; le pays, qui est extrêmement, couvert, ne nous a pas permis de connaître précisément où passeront les lignes de redressement, mais, selon la nature du terrain, cette partie, étant traversée de ruisseaux et de marais, sera très coûteuse à mettre en bon état ;
3e De Villefagnan jusqu'à la grande allée de la forêt de Tusson (3) le chemin y est fort mauvais, à peu près comme la partie ci-dessus, mêlée de terres cendreuses et terres fortes ;
4e De la forêt de Tusson jusqu'au bourg d'Aigre (4), le chemin, quoique en général sur un bon fond, y est fort difficile, étroit et sinueux ;
5e Du bourg d'Aigre à celui de Saint-Gybardeaux, le chemin y est extrêmement tortueux et traversé par des ruisseaux et mauvais pas ;
6e De Saint-Cybardeaux à Châteauneuf, le chemin y est passable ;
7e De Châteauneuf à Barbezieux, le chemin y est tortueux et mauvais sur la longueur d'une demi-lieue, du côté de Barbezieux.
8e La longueur de cette route ne peut-être qu'incertaine jusqu'à ce que les projets de redressement soient arrêtés et tracés sur le terrain. Il est très difficile de savoir à quoi s'en tenir, n'ayant pu visiter les endroits par où passeront les lignes de redressement de cette route, c'est que la dépense en sera forte, qu'il y aura au moins six ponceaux avec leurs chaussées à faire ainsi que du cailloutage dans les trois-quarts de sa longueur, des déblais et remblais considérables pour lui donner des pentes douces et uniformes.
Et, étant parti de Barbezieux pour faire la visite de la nouvelle route proposée, passant par Jurignac, Roulet, Pont-de-Churet, Mansle, Ruffec, Les Adjots et Chaunay, nous aurions observé :
le Que depuis la ville de Barbezieux jusqu'à l'entrée du bourg de Roullet, (5) il n'a encore été fait aucun ouvrage, à l'exception de quelques tracés du côté de Roullet et qu'en passant sur la chaussée de Nonaville et du Pont-à-Brac, cette partie a de longueur, suivant les projets de redressement 10.505 toises, que le terrain en est bon et solide, à l'exception de 10.000 toises du côté de Barbezieux qu'il faudra caillouter.
(1) De la généralité de Poitiers.
(2) De l'Angoumois, généralité de Limoges.
(3) De la généralité de Poitiers.
(4) De la généralité de la Rochelle, ainsi les 5, 6e et 7e section ci-dessous. Est inscrit en outre de la main de Tourny le nota suivant : «Qu'il n'a été fait aucun plan ni de l'état de l'ancien chemin ni du redressement d'icelui, quoique les ingénieurs des généralités de La Rochelle et de Poitiers disent, dans leur rapport, que la route, mesurée suivant les projets de redressement faits sur différents plans que chacun de nous a apportés, ait 44.046 toises de longueur».
(5) Les 2/3 sont de la généralité de La Rochelle. Tourny ajouta, en plus, cette annotation : «S'il n'y a encore rien de fait, c'est par le refus de M. Barentin que les paroisses de sa généralité, mêlées avec celles de la mienne travaillassent.»
Suite secteur Barbezieux :
2e Que, depuis Roullet jusqu'à l'entrée du faubourg Saint-Pierre de la ville d'Angoulême, (1) cette partie, qui est de 5.471 toises courantes, est sur un bon fond alignée et ouverte sur 40 pieds de largeur et qu'au moyen de 5 à 600 toises cubes de remblai pour élever trois petits fonds et du transport de la chaussée des Eaux Claires, percée de deux ponceaux et de quelques regalements (étendre de la terre, du sable, des cailloux sur une faible épaisseur pour redresser le niveau) de terres à l'effet de mettre les bords du chemin de niveau, cette partie sera roulante et parfaite, y ayant été fait sept ponceaux, savoir 5 de 8 et 2 de 4 pieds d'ouverture, élevés sur de petits ruisseaux qui traversent le chemin, lesquels ponceaux ne sont point exposés à supporter la violence d'une grande quantité d'eau, de sorte qu'une simple construction en moellon plats avec tètes de pierre de taille suffit; si les mortiers et l'appareil des tètes ne sont point des qualités requises, c'est une négligence de l'ouvrier pour raison de quoi l'entrepreneur est en procès avec celui de ses associés qui les a faits à l'effet de l'obliger de refaire les tètes, tablettes et murs et ailes d'une meilleure construction.
3e Que, depuis Angoulême jusqu'à Mansle, ce qui fait une longueur de 14.611 toises, également alignée et ouverte sur 40 pieds de large, le chemin y est bon et solide, et si ce n'est quelques cailloutages encore imparfaits qui se pourront perfectionner aisément en les recouvrant de menues pierrailles, qui se trouvent dans les fossés, lesquels n'ont pas encore la profondeur ni la largeur prescrites, et moyennant 3 à 400 toises cubes de remuement de terres pour mettre les bords du chemin de niveau en le bombant, cette partie sera parfaite. Les ponceaux qui y sont construits sont à peu près de même qualité que ceux ci-dessus, étant de même entrepreneur qui les a faits ; ils seront rétablis; ils sont plus nécessaires pour l'élévation des fonds qu'à l'écoulement des eaux qui y passent. 4e Que, dans la partie depuis Mansle jusqu'à la sortie de la ville de Ruffec, (3) dont la longueur est de 8.703 toises alignée et ouverte sur même largeur que le précédent article, le terrain est de même qualité, bon et solide, caillouté d'un bout à l'autre, de sorte qu'en achevant de creuser les fossés, les menues pierrailles qui en proviendront étant jetées et arrangées sur le milieu du cailloutage, perfectionneront cette partie, laquelle sera, ainsi que celle ci-dessus, très roulante. A la sortie de Mansle, l'on rencontre un grand pont de pierre, bâti sur la Charente, composé de neuf arches, extrêmement élevé, en bon état, à la suite duquel on élève actuellement une chaussées de 180 toises de long, de 30 pieds de large en sa crête, percée de cinq arches en pierre de taille et moellons échantillonnés, trois (les-dites arches de 18 pieds d'ouverture et 2 de 15, dont la construction, faite par le même entrepreneur des ponts ci-dessus, est belle bonne et solide.
5e Que depuis la sortie de Ruffec jusqu'au point de séparation des généralités de Poitiers et de Limoges (ce qui forme une longueur de 5.227 toises courantes) le chemin est aligné et ouvert dans l'espace de 2.132 toises, (4) sans autres ouvrages faits que des fossés dont le déblai, qui n'est que pierraille, a été jeté sur les bords du chemin en 1.050 toises de longueur„ et ensuite deux simples tracés qui narguent seulement l'emplacement du nouveau chemin, lequel, dans cet intervalle aligné, ainsi que dans le reste de la longueur non alignée, aura besoin, d'être caillouté, à l'exception d'environ 300 toises du côté de Ruffec, dont la superficie est aussi pierreuse que le fond. A la sortie de Ruffec est un ponceau, fait à neuf, (5) d'une assez bonne construction pour un endroit où il ne passe de l'eau que très rarement.
Que, dans la partie, depuis le point de réparation des généralités de Poitou et de Limoges jusqu'à l'arrivée de Chaunay, laquelle n'est point encore alignée et dont la longueur est de 4.972 toises en plat pays, il conviendrait de caillouter environ la moitié de cette étendue, les pierres et gravois se trouveront à un pied de profondeur et proviendront de fouille des fossés.
(1) De la Généralité de Limoges.
(2) 6.131 toises jusqu'au pont de Churet : de la Généralité de Limoges ; et 7.888 toises, jusque, et y compris Mansle, de la Généralité de La Rochelle. Puis de la main de Tourny : J'ai fait faire, également tant par corvées que par entreprise, les ouvrages de l'une et de l'autre généralité, du consentement de M. Barentin.
(3) De la Généralité de Limoges.
(4) De la Généralité (le Limoges.
(5) Ce ponceau été construit en 1741 ou 1742, si l'on compare les termes de ce rapport avec ceux du mémoire de 1710 que avons publié précédemment. Munier a parlé de lui, en 1779, en ces termes : «On traverse le vallon de la Péruse, à l'entrée de Ruffec, sur un remblai considérable qui couvre une arche de quinze pieds d'ouverture. Cette construction parait déplacée au premier coup d'oeil, dans un vallon tapissé de prairie et dans lequel on ne voit pas même une goutte d'eau, pendant la plus grande partie de l'année ; néanmoins, en regardant un peu plus attentivement le fond du vallon, on y aperçoit la trace verdoyante d'un courant, appelé la Péruse qui ne parait qu'après des pluies abondantes et continues. Cette rivière temporaire, qui parvient de plusieurs fontaines de cette espère qui se trouvent à différentes distances de la route, ne parait que dans les hivers pluvieux ; elle fertilise alors tout le fond du vallon qu'elle arrose et semble reprocher à l'architecte du pont de ne pas lui avoir ménagé un plus grand passage...» (Essai d'une méthode générale... tome 2, page 149)
De toutes les observations ci-dessus, il résulte que la nouvelle route de poste proposée n'ayant que 49.189 toises de longueur, qui ne font que 20 lieues 489 toises, à raison de 2.150 toises par lieue, doit être plus courte que l'ancienne, qui contient actuellement 13 postes dont on doit croire les lieues de la même étendue. Il n'y a aucune apparence de présumer qu'elle puisse être raccourcie, par les alignements qui la redresseront, d'environ 6 lieues, à moins que ces lieues, qui forment les 13 postes, ne soient pas d'une étendue de 2.450 toises ; en ce cas, elle se rencontrerait à peu de la même longueur que la route proposée. Enfin, il n'est guère possible, jusqu'à ce que les tracés du redressement de l'ancienne route soient marqués, de pouvoir faire un parallèle juste de ces deux routes ; l'on observera seulement sur celle proposée, passant par Angoulême, que ses avantages se présentent d'eux-mêmes rien n'est inconnu sur cette route ; elle est découverte d'un bout à l'autre ; l'on passe actuellement dessus. Tous les matériaux, excepté la pierre de taille et la chaux, se trouvent dans les fossés. Il parait visiblement que le fond en est bon et solide, presqu'en plaine, et il est manifeste qu'avec, une dépense modique, l'on achèvera de la mettre, en peu de temps, dans un état de perfection, ce que l'ancienne route ne pourra acquérir qu'avec des dépenses immenses et un travail de plusieurs années, après un dégât considérable d'excellents fonds sur lesquels passeront les nouveaux alignements. (1)
Lequel rapport nous avons cru devoir faire en notre particulier, n'ayant point signé celui de nos confrères.
Fait à Chaunay, le vingt-six du mois de septembre 1742.
Signé : PONCHON.
Si nous ne connaissons pas les termes du rapport des ingénieurs Gendrier et Baudoin, des généralités de Poitiers et de La Rochelle, Tourny, lui, en eut connaissance. Et voici de quelle manière il crut devoir le réfuter, aux yeux de Trudaine, sans se soucier, du reste, de son état de santé:
«A Limoges, le 5 octobre 1742.
Monsieur. je m'imagine qu'en lisant le rapport dressé par les ingénieurs de la Saintonge et du Poitou (en marge, de la main de Tourny : «Quelle raison de préférence ne porte pas avec elle la seule ville d'Angoulême ?) au sujet de la route de poste de Chaunay à Barbezieux, et de celle que j'ai proposé de lui substituer, vous aurez été très surpris de voir qu'ils se soient expliqués aussi succinctement sur la première et qu'ils aient fait la critique de l'autre avec une partialité si marquée. Tant de choses sont, Monsieur, à vous représenter contre ce rapport, que je ne le puis faire dans un temps où, détenu au lit depuis trois jours par une fièvre qui me tourmente fort, je me trouve hors d'état de m'appliquer. J'ai seulement l'honneur de vous envoyer le rapport du sieur Ponchon - j'y ai mis quelques notes - qui n'a pas cru devoir accéder à celui de ses confrères. Je n'en suis guère moins mécontent pour n'avoir vu de l'ancienne route que ce que les deux ingénieurs de la Saintonge et du Poitou lui ont voulu laisser voir, c'est-à-dire des projets de redressement jetés au hasard sur le papier, - qui n'ont eté ni examinés, ni vérifiés sur les lieux. Voila pourquoi ces messieurs ont parlé si brièvement de l'ancienne route : ils ne pouvaient s'en expliquer en détail qu'ils n'eussent fait les examens qu'ils n'auraient pas faits ou qu'ils n'eussent mis en évidence qu'ils avaient mal à propos moqué de les faire. Ils blâment les ponceaux de route sur deux choses, l'une que la construction n'en a pas été ordonnée assez solidement, l'autre qu'elle n'a pas été bien exécutée par l'entrepreneur. Quant an premier point, leur blâme - ainsi que me l'a dit M. Ponchon - roule sur ce que les ponceaux ne sont point construits de moellon échantillonné aux chaines de pierre de taille. Il n'a été pratiqué, jusqu'à présent, dans cette généralité, que quand il n'était question que de ponceaux de 4, 6, ou 8 pieds, au plus, et non exposés à des courants rapides, tels que ceux dont il s'agit, il suffisait de têtes de pierre de taille, sans augmenter la dépense par des chaines qui ne paraissent pas nécessaires, et qu'il y avait aussi d'autant moins lieu à y vouloir employer du moellon échantillonné que celui de cotte généralité, bon de sa nature, n'était nullement propre à recevoir cette façon. A l'égard de la mauvaise construction, si elle est telle qu'elle est prétendue par ces messieurs, il faut qu'elle soit condamnée et que l'entrepreneur, sans aucune grâce, refasse les ponceaux à ses dépens, an moyen de quoi cela n'influera nullement sur la route. Mais ils ont assurément parlé au hasard, en pensant que le mortier de intérieur de ces ponceaux manque de chaux et qu'elle n'a pas été bien incorporée avec le sable, n'ayant fait aucune ouverture qui leur en ait pu donner la preuve. Comme, lors de construction, à plus de vingt lieues de Limoges, l'ingénieur n'y pouvait pas veiller, je chargeai une personne d'Angoulême, qui s'entend fort en bâtiment, de les aller examiner. Elle s'en acquitta exactement et me manda, à différentes reprises, que le mortier était gras, le travail bon, etc. D'ailleurs, M. Ponchon, qui les visita le printemps dernier, me rapporta seulement qu'il y avait du défaut à quelques têtes de pierre de taille et tablettes de noir en aile, qui n'étaient pas d'un assez bon appareil et j'ordonnai, conséquence, qu'elles fussent refaites ensemble des murs en aile, dont M. Ponchon n'était pas aussi tout à fait content, et cela eut été déjà exécuté, s'il n'y avait eu contestation entre les entrepreneurs qui sont trois associés, deux ayant prétendu que ce rétablissement devait être aux dépens particuliers du troisième, qui s'était chargé de la construction de ces ponceaux, pendant qu'eux étaient occupés à la Chaussée de Mansle...
… Suite de la lettre du 5 octobre 1742.
« Quand M. Ponchon a voulu faire entendre à ces messieurs, par ces réflexions et autres, le peu de lieu et de raison qu'ils avaient de blâmer aussi fortement ces ponceaux, on vante, ont-ils répondu, M. de Tourny pour faire faire beaucoup de chemins et d'ouvrages, dans sa généralité, à bon marché, il est bon que nous fassions sentir au Conseil ce que c'est que ces chemins et ces ouvrages, etc...
Vous comprenez, Monsieur, combien une pareille idée de basse jalousie dégrade la sincérité et l'impartialité qu'il doit y avoir dans un rapport ; et, continuaient-ils, afin de ramener un peu M. Ponchon, qu'est-ce que cela vous fait ? Nous approuvons la chaussée de Mansle, construite de votre temps, etc...
De vous à moi, Monsieur, je ne répondrai pas que celui-ci n'ait été flatté et, intérieurement, bien aise de l'espèce de supériorité que cela donnait à son temps sur celui de son prédecesseur. Rarement, même chez les honnêtes gens, le coeur de l'homme a une vertu assez pure pour ne pas aimer à être exalté aux dépens d'autrui, y sentit-il une certaine fausseté.
Par rapport à la longueur des deux routes, j'ai comparé, dans mes lettres écrites au Conseil et mémoires qui les ont accompagnées, 13 postes contre 20, lieues formées de 2.450 toises chacune. L'un et l'autre sont constant ; j'ai peiné à comprendre que les ingénieurs de la Saintonge et du Poitou puissent, par leurs redressements, réduire ces 13 postes à 44.000 toises qui ne feront que 18 lieues. Il faudrait même que les plans me fussent communiqués pour que je le crusse. Les miens leur ont été montrés ; ils les ont suivis pied à pied sur le terrain ; rien de tout cela de leur part ; il y avait même plus d'un tiers de la route, ou pour parler juste 5 postes et demie - depuis la forêt de Tusson une lieue au-delà d'Aigre jusqu'à Chaunay - dont ils n'avaient aucun plan, et sur les plans des sept postes et demi restantes, les lignes de redressement étaient jetées à vue, au gré de l'imagination.
Mais, Monsieur, en dictant j'oublie ma fièvre je voulais seulement vous dire un mot et en voilà bien long ; cependant il me semble que ce n'est pas encore le quart de ce que j'ai à vous représenter.
J'ai l'honneur d'être avec respect, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur.
DE TOURNY.
Mais Trudaine ne s'émut pas davantage de ce qu'il pouvait y avoir de passionné - de fiévreux ! - dans ce plaidoyer. Il écrivit en marge : à joindre au dossier, et attendre les nouveaux éclaircissements.
Puis cette note caustique, qui ne manque pas de dévoiler l'habile impulsion du pouvoir central : les visites réciproques de départements sont toujours très utiles et piquent d'émulation les intendants et les ingénieurs : - 12 octobre 1742.»
Entre temps, il écrivait à Tourny cette lettre dont le post-scriptum seul présente de l'intérêt.
12 octobre 1742.
M.., je viens de recevoir le rapport que les trois ingénieurs de Limoges, Poitiers et de La Rochelle ont dressé des deux routes de poste de Paris à Bordeaux. Il parait qu'on ne vous avait pas fait un apport exact de la longueur de ces deux chemins depuis Chaunay jusqu'à Barbezieux, puisque vous pensiez que celui qui passe par Angoulême était le plus court. Je vous prie de me marquer quel est aujourd'hui votre sentiment sur ce projet et ce que l'ingénieur de votre département vous en a dit.
Je suis, etc... »
P. S. - Depuis cette lettre écrite, je reçois celle que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire sur le même sujet. J'attendrai le rétablissement de votre santé et les nouveaux éclaircissements que vous me promettez avant que de proposer à M. le contrôleur général de prendre aucun parti sur cette affaire.
Nous ignorons quels détails complémentaires Tourny apporta, une lacune de dix mois environ existant dans le dossier de l'affaire. Mais, à en croire le marquis d'Argenson, Trudaine avait très à coeur l'achèvement de cette route. Nous ne serons donc point surpris que Trudaine ait demandé à l'intendant de Limoges quelles mesures lui semblaient nécessaires afin de seconder ses desseins. Car Tourny se heurtait sans cesse au mauvais vouloir de Barentin et même de Le Nain. L'arrêt du Conseil, relatif à l'essartement de la forêt de Chardin, rencontrait par exemple une certaine passivité d'exécution contre laquelle s'élevait notre créateur de routes. Il y avait bientôt deux ans qu'il était pris, un an que adjudication était accordée et le travail n'avançait toujours pas ! Tourny crut devoir envoyer à Trudaine la réponse qu'on va lire.
«A Paris, le 24 août 1743.
Monsieur,
Vous m'avez chargé de vous marquer ce qui me paraissait devoir être demandé à M. Barentin pour le chemin d'Angoulême à Bordeaux. Il s'agit seulement d'obtenir de lui qu'il laisse exécuter l'adjudication faite pour le passage de la forêt du Chardin dans une étendue d'environ 600 toises, en exécution de l'arrêt du Conseil du 19 décembre 1711 et qu'il ordonne que la partie du chemin de la Saintonge, depuis Roullet, généralité de Limoges, jusqu'à Jurignac, même généralité de Limoges, soit mise en état, tant par des fossés ouverts des deux côtés en conformité des alignements marqués depuis longtemps, par un bombement aisé à former au milieu avec la pierraille qui sortira de ces fossés ; au moyen de quoi, le sol étant de sa nature très solide, il en résultera de cette seule façon d'opérer un très bon chemin dans ladite partie.
La distance de Bonnet à Jurignac, au milieu de laquelle se trouve la forêt du Chardin est, si je ne me trompe, d'environ 2 lieues ; les cartes que vous avez, Monsieur, dans le grand livre (1) ainsi que parmi celles que vous m'aviez envoyées - lesquelles j'ai remises à M. Barentin pour vous les faire repasser - présentent aux yeux les lieux dont il s'agit. Je vous envoie ci-joint l'arrêt du Conseil et l'adjudication.
(1) Le grand livre, auquel Tourny fait ici allusion, existe encore. C'est un recueil composé de plans et de cartes, soigneusement levés et agrémentés de peintures au lavis. La route de Chaunay à Barbezieux y est représentée en plusieurs tronçons, ainsi que ses abords immédiats. La partie qui concerne la fraction entre Ruffec, et les Nègres, par exemple, donne de curieux aperçus sur ce qu'étaient alors les jardins à la française du logis de Touchimbert, - le seul vestige qui en reste aujourd'hui.
(2) II s'agit d'extraits des registres de la maîtrise des Eaux et forêts d'Angoumois, reproduisant le texte de l'arrêt du 19 décembre 1741 qui avait été enregistré à la maîtrise d'Angoulême le 22 janvier 1742 et le texte de l'adjudication accordée le 16 juillet 1742 à M. Philippe Andonin, procureur à Angoulême, pour faire effectuer les travaux prévus par un adjudicataire de son choix, dans un délai de trois mois et sans autre charge que l'abandon à lui consenti de tout le bois compris dans l'alignement.
«Il sera à propos, Monsieur, que vous écriviez en même temps en Poitou pour que l'on fasse de même, pour la communication de Poitiers à Angoulême, l'alignement et redressement de la partie de chemin depuis Chaunay - point commun des deux routes - jusqu'à la rencontre des alignements du Limousin, vers Les Adjots, c'est une distance d'un peu plus de deux lieues, qui n'a pareillement besoin que de fossés de part et d'autre, avec un bombement de la pierraille sortante des fossés. Ces deux lieues sont en plaine et ne formeront qu'une ou deux lignes, suivant le plan de l'ingénieur du Poitou, qui est parmi les cartes que vous avez.
J'ai l'honneur d'être avec respect, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur.
DE TOURNY.
Sur cette lettre sont portées deux mentions. La première émanant de Trudaine, la seconde d'un commis de son service :
«Mander à M. de Barentin que je le prie de me rendre les pièces, plans et mémoires que j'avais envoyés à de Toury sur cette affaire et que M. de Tourny me mande lui avoir fait passer. Voir sur ces plans et examiner ce qu'il y a à faire.»
Et plus bas :
Exécuté le 29 dudit mois d'août 1743.»
Cette lettre est, semble-t-il, la dernière que notre constructeur de routes ait écrite à Trudaine, au sujet de celle d'Espagne à travers l'Angoumois. Depuis six semaines environ, il n'était plus officiellement intendant à Limoges. Une commission en date du 15 juillet 1743, signée par Louis XV et contresignée par Amelot, avait, en effet, appelé Tourny à l'intendance de Bordeaux. Pendant treize ans, il venait de montrer, dans nos contrées, de telles capacités, - suivant les termes mêmes de la commission royale, - il avait «si bien répondu à notre attente» qu'il en recevait la récompense par un magnifique avancement. Si l'oeuvre amorcée n'était pas encore complètement achevée en cette année 1743, si le déplacement de la poste n'était pas encore opéré, l'impulsion donnée, les résultats obtenus demeuraient désormais assez solides pour qu'aucun retour en arrière ne fut possible ; les successeurs de Tourny n'avaient que quelques efforts à faire pour terminer l'édifice, pour que retombât sur eux le succès complet de l'entreprise.
Nous aurions tort de sous-estimer des continuateurs de Tourny comme Saint-Contest, qui fut intendant à sa suite durant huit ans. La Millière qui resta cinq ans à Limoges et qui y mourut, ou comme Marcheval, que l'on y rencontra pendant quatre ans. Sous leur direction, le service des ponts et chaussées poursuivit les travaux de la route d'Espagne et la livra à la circulation. Mais c'est à Turgot que revient l'honneur d'avoir unifié son parcours dans notre province et, par d'habiles mesures, d'avoir rectifié son tracé dans ce qu'il pouvait présenter d'irrégulier. La traversée de certaines localités entraînait des expropriations qu'il n'était pas toujours facile de voir aboutir. Turgot conserva l'intendance de Limoges de 1761 à 1774. Les archives du château de Lantheuil possèdent une «note» instructive «sur l'état des travaux de la généralité» pour 1761, précisément la première année de l'administration de Turgot : « Toutes les routes de la généralité. y est-il dit, sont ouvertes sur 48 pieds d'ouverture, 6 pieds de fossé de chaque côté, et derrière on réserve une ban-quette pour les arbres. Les arbres ne sont plantés encore qu'en très peu d'endroits. - De Paris à Bordeaux, par Angoulême, la plus intéressante de toutes et la plus avancée : tous les ouvrages d'art faits, à l'exception des ponceaux du tour de la ville.
Voici, d'un autre côté, ce qu'en dira dix-huit ans plus tard, un spécialiste de la question, l'inspecteur des ponts et chaussées Etienne Munier, qui travaillera grandement à l'amélioration de cette route. L'un des objets les plus agréables pour les voyageurs, en entrant dans l'Angoumois, est de trouver une route qui peut passer pour l'une des plus belles du royaume. Le repos dont ils jouissent, comparé avec les secousses qu'ils éprouvent partout ailleurs, fixe bientôt leur attention. Les chaussées d'empierrement, qu'ils ont à parcourir, sont si roulantes et si bien entretenues qu'ils y ressentent à peine le plus léger cahot. Toute la traverse de cette province est tenue de cette manière. On y rencontre, cependant. plusieurs enclaves de la Saintonge qui ne sont pas finies et que l'on peut regarder comme des ombres dans ce beau tableau.
Même en tenant compte du plaidoyer pro domo (pour sa propre cause) que renferme ce témoignage, il est indéniable qu'il fournit sur l'administration de Turgot, dans le domaine dont nous nous occupons, une justification précieuse. Car, - des documents soigneusement gardés dans les archives départementales en font foi, - c'est Turgot qui imprima une nouvelle et ferme direction à l'oeuvre de Tournv. De son époque, datent les plans qui subsistent encore, et qui. concernent la traversée des paroisses de Montalembert, des Adjots, de Villegats, Barro et Verteuil, de Salles, de Lonnes, de Fontenille, de Fonclaireau, de Mansle ou de Champniers, - pour ne parler que du secteur s'étendant du Poitou aux faubourgs d'Angoulême.
De son époque datent aussi les ordonnances relatives aux plantations et à l'élagage des arbres le long de la route.
De son époque enfin, les différentes pièces relatives aux nouveaux alignements à faire et aux indemnités payées aux propriétaires des terrains concédés.
De tous ces documents, les plus intéressants ont trait, sans conteste possible, à l'éventration de la ville de Ruffec.
La route d'Espagne, entre Chaunay et Mansle, fut livrée au public dans les années voisines de 1750. (Nous savons que le ponceau sur la Péruse fut construit en 1741 ou 1742 et que le nouvel itinéraire de la Poste passa par Ruffec en 1763. Mais dans l'agglomération urbaine de Ruffec, un circuit s'imposait au voyageur. A peine avait-il franchi les premières maisons, en venant de Poitiers, qu'il devait emprunter sur sa gauche la rue actuelle de Valence (rue Jean Jaurès) qui le conduisait sur la place du Marché - aujourd'hui place d'Armes.
Là, se trouvaient du reste les deux seules auberges de l'endroit, l'une sise dans les maisons Dubois et Rullier, l'autre dans la maison Perrard. Puis, par la rue, appelée maintenant de la République, le voyageur aboutissait à la place du Piolet où était alors la poste-aux-chevaux (maison occupée par M. Léchelle, huissier). De la poste-aux-chevaux, il gagnait promptement la porte de Verteuil, placée où sont les maisons de M. Blanc et de Mme Girard, pour tomber bientôt au carrefour où était amorcée la nouvelle route d'Angoulême, non loin de la maison Brumauld de Montgazon, (appartenant aujourd'hui à M. Guyonnet-Dupérat). Il passait au centre de la ville, c'était vrai ; mais il lui fallait effectuer plusieurs détours par des rues étroites et incommodes. Munier nous fixe sans ambages à ce sujet. «Les sinuosités intérieures de la ville de Ruffec en rendaient autrefois la traverse longue et difficultueuse» écrivait-il en 1779. Un changement de parcours, plus conforme aux exigences nouvelles de la Poste, s'avérait obligatoire...
(1) Munier écrivait à ce sujet : On remarque... dans toute la longueur de la route d'Espagne, des plantations inégales et interrompues, qui contiennent différentes espèces d'arbres. Il est convenable de prévenir la surprise que ces plantations pourraient occasionner au voyageur et de lui en développer les motifs... Ces plantations sont généralement établies à trois pieds de distance de la crête des bornes ou accotements du chemin ; elles sont relatives à la longueur des remblais et à la qualité du terrain. Les châtaigniers, les noyers, les cerisiers, les ormeaux et les peupliers d'Italie sont les espèces d'arbres qui réussissent le mieux sur les routes de l'Angoumois.
Il parait que l'on a cherché à faire, sur celle d'Espagne, des plantations plus utiles qu'agréables et qu'en leur supposant, dans les remblais, un certain accroissement, on a pensé à garantir les voyageurs des chutes auxquelles ils sont exposés sur une levée, en établissant après coup des haies vives en banquettes d'un arbre à l'antre.
Le voyageur et le paysan sont les ennemis de ces plantations; ils estiment davantage les arbres à fruit que ceux de décoration seulement et dont le produit, consistant dans une belle tige, ne laisse entrevoir qu'une jouissance très éloignée. Le cultivateur connait très bien l'espèce d'arbre qui réussira dans sa terre, s'il avait la liberté de la choisir et et n'était assujetti à d'autres servitudes qu'a planter des arbres à haute tige, selon des distances et des alignements donnés ; il affectionnerait sa plantation et il lui ferait faire les plus grands progrès, surtout s'il était encouragé par une récompense modique et annuelle, soit en argent comptant, soit en déduction sur ses impositions. Je suis convaincu qu'une gratification de 4 à 5 sols par pied d'arbre, lors de la première plantation, et de 2 sols seulement pour l'entretien des années suivantes, accordées sur les certificats des personnes employées à cette administration, produirait un effet bien plus prompt et plus économique que toutes les ordonnances qui ont été rendues à ce sujet, jusqu'à présent. Le paysan a tant de moyens pour faire avorter tous les projets de ce genre, qui ne l'intéressent point, que je crois inutile d'en tenter l'exécution.
Les plantations que l'on vante aujourd'hui sur les grands chemins, sont bien peu considérables, en comparaison de celles qui ont été faites jusqu'à présent sans succès, et des dépenses qu'elles ont occasionnées.» (Essai... tome II, pp. 221 et suiv.).
(2) Nous croyons intéressant de donner ici le texte d'un placard imprimé, in-4e oblong, relatif aux moyens de transport entre l'Angoumois, Paris et Bordeaux, tels qu'ils étaient organisés en 1769 :
Avis au PUBLIC.
- Le public est averti qu'il est présentement établi, au bureau de la messagerie d'Angoulême, une chaise à quatre places pour Paris qui part tous les dimanches à midi, va en huit jours et demi et revient de même. A Poitiers, les personnes montent dans une berline à huit places jusqu'à Paris, où ils trouvent les mêmes places que dans la chaise. Repart ladite berline de Paris pour Angoulême jusqu'à Poitiers, tous les samedis à sept heures du matin, et à Poitiers les personnes montent à ladite chaise jusqu'à Angoulême. Ces voitures sont très bonnes et commodes pour toutes sortes de personnes : on y nourrira, comme à la messagerie, ceux qui le désireront. Le prix des places par personne est de 65 livres sans être nourris et 95 livres avec nourriture, vingt livres pesant de hardes par personne et quatre sols de la livre du surplus desdites hardes et autres effets. Il passe aussi à Angoulême une pareille chaise allant et venant à Bordeaux, dans laquelle on peut trouver des places, soit pour Paris aux prix et conventions ci-dessus, ou pour Bordeaux à raison de 20 livres par place sans nourriture et 29 livres avec nourriture, dix livres pesant de hardes gratis et deux sols de la livre du surplus des autres effets. Il est établi deux départs de messageries de ladite ville d'Angoulême pour Paris, savoir. le premier sera le dimanche et le second le mercredi, à dix heures précises du matin pour faciliter les envois de gibier, pâtés, dindes et autres, qui pourront se partager dans ces deux départs. Il faut apporter la veille et le jour jusqu'à huit heures du matin, après quoi on ne recevra plus. Il est, de plus, établi audit bureau d'Angoulême, une guimbarde qui part tous les lundis matins pour Paris, va en treize jours, à raison de 15 livres du cent pesant de voiture, au des-sus du poids de cinquante livres. Repart la pareille guimbarde tous les mardis matin de Paris, va de même en treize jours. Loge à Paris rue Contrescarpe, au bureau de la messagerie d'Angoulême, où on trouvera ses effets.
Permis d'imprimer et d'afficher.
Ce 10 mai 1769, SARTINE.
A Paris, de l'imprimerie de Brault, quay de Gêvres. (Reproduit par M. Jules Pellisson, in Le Vieux Papier du 1er juillet 1900, page 53, sous le titre : Les voitures publiques à Angoulême en 1769.