L'Angoumois et Angoulême :
joli contexte de tradition gastronomique
"Le Sieur Porcabeuf (1770), traiteur qui sert les meilleures tables, a mérité cette préférence par ses pâtés de canards, perdrix et mauviettes, farcis de truffes d'Angoulême, et sans croûte ; il accommode lui-même des dindes à la Gâtinaise. Sa demeure est à Paris, rue du Paon, à l’Hôtel de Tours."
"Il y a ici des fabriques de faïence… (1830) Le safran est cultivé en grand dans les champs de l'arrondissement d'Angoulême. Le gibier est abondant et sa chair très goûtée dans ces contrées. On en fait des pâtés qu'on met dans des terrines et qu'on envoie au loin bien apprêtés et bien truffés pour la satisfaction des amateurs."
"Un bon dîner n' est jamais de trop dans les courses longues d'une vie si courte (1830). Un bon dîner fait passer par dessus bien des ennuis et même quand vous sourit la fortune, il ajoute à son piquant et trompe la monotonie du bonheur. Les promenades d'Angoulême sont délicieuses par les ombrages et par les points de vue. Les bains sont bien soignés et c'est une excellente chose qu'un bain pris en sortant de voiture et avant de se mettre à table. Le bain est une sorte de panacée pour une foule de maux qui ne tiennent qu'à des échauffements et des engourdissements. Notre pauvre vie sociale est si mal organisée et nous faisons si peu usage de nos bras et de nos jambes que si nous n y prenions garde, ils finiraient par se paralyser avant l'âge."
"Comestibles à Angoulême (1854) : vins, eaux-de-vie de Cognac, truffes, châtaignes, poisson salé, sel, safran, fabriques considérables de faïence et de papier estimé, pâtés de perdrix aux truffes expédiés pour toute la France."
"Un bon livre quand on est en route, c’est l'Almanach des Gourmands, et si l'on veut encore l'ouvrage de Le Grand d'Aussi sur l'ancienne cuisine des Français. On sait ce que chaque pays a de meilleur, et de cette manière on peut se régaler à toutes les tables d'hôtes de ce qu il y a de plus fin et de plus recherché dans les villes diverses que l'on rencontre."
Un vaisseau de terre
Définition de la terrine : "Vaisseau de terre de ronde plat par en bas, et qui va toujours s'élargissant par en haut. Terrine vernissée ; terrine à mettre du lait ; terrine à savonner ; terrine de queues de moutons, une terrine d'ailerons..."
La terrine était le meilleur moyen de conserver les galantines et de les exporter. Jusqu'à 18 mois parce que la terrine cuite pleine, et le couvercle étanché, ne laissaient aucune place à l'air.
"Pour conserver longtemps une terrine, on comprime les viandes au moyen d'une plaque, que l'on posera dessus dans la terrine et que l'on surchargera d'un poids de 1 ou 2 kg, et cela à la sortie du four. On retirera le tout le lendemain, en chauffant un peu la plaque, et on recouvrira de la graisse et du couvercle, en y recollant du papier."
Les terrines de Nérac, de Périgueux et de Ruffec (on disait pâté de Ruffec) sont plus des galantines que des pâtés. C'est très difficile de dénicher la recette originale mais nous la retrouvons en 1830. Attention aux palais sensibles, ils risquent de baver...
Les épices
Les premières épices, comme le thym, la marjolaine, le safran, furent fournis par le sol même de la Gaule, Le safran entrait jadis dans presque tous les ragoûts, sauces, potages, pâtisseries. La feuille de laurier, l'anis, la coriandre, l'ail, ont de tout temps procuré un assaisonnement facile et abondant. La moutarde, faite de graine de sénevé et de vinaigre, remonte à une époque fort ancienne ; dès le XIIIe siècle, on estimait la moutarde de Dijon. Le vinaigre est le vin aigre, auquel on donne une saveur plus agréable par le mélange de plantes aromatiques. Les épices étrangères commencèrent surtout à être employées vers l'époque des croisades. Les poètes de ce temps citent avec les plus grands éloges le poivre, la cannelle, le girofle, le gingembre. Plus tard on estima surtout la muscade. Le commerce des épices a longtemps enrichi les Vénitiens ; il passa aux Hollandais, vers la lin du XVIe siècle.
Pendant longtemps, le miel tint lien de sucre. Ce fut seulement vers 1420 qu'on tenta de clarifier le sucre apporté d'Arabie et appelé d'abord miel de roseau ; on ne l'employa dans l'origine que pour la médecine. En 1471, un Vénitien perfectionna les procédés de clarification. Enfin, la découverte de l'Amérique et l'exploitation des colonies ont multiplié les plantations de cannes à sucres. Les sucres indigènes, que, de nos jours on a tires de la betterave, n'ont pu remplacer entièrement le sucre colonial.
Guide du voyageur en France, 1829
Ruffec (Charente), petite ville sur le ruisseau du Lien, avec tribunal de première instance. Curiosités : la place d’Armes, le Dauphin, où se sont tenus plusieurs conciles et synodes ; l'église , les ruines de l'ancien château des comtes de Broglie. Commerce : grains, bétail, fromage, marrons. Hôtel des Ambassadeurs (1) : on y fait des envois de perdrix et de pâtés truffés ; on y mange d’excellents pâtés de perdreaux. Pop. 2,657 h. Excursions : aux moulins de Condac ; au château de Verteuil, ancienne habitation des ducs de Larochefoucauld.
Guide du voyageur en France, 1831
Hôtel des Ambassadeurs : on y fait des envois de perdrix et de pâtés truffés; on y mange d'excellents pâtés de perdreaux.
Hôtel de la Poste, tenu par M. Thorel : on y mange d'excellents pâtés de perdreaux aux truffes.
Passage de la diligence de Paris à Bordeaux...
1868, terrines de Nérac, Ruffec et Angoulême
La composition de ces terrines est des plus heureuses : du gibier, des foies de volailles, des truffes, le tout artistiquement combiné et condimenté. Quelques gastronomes les estiment presque à l'égal de celles de Strasbourg sur lesquelles elles ont l'avantage d'un prix moins élevé. Cependant elles ne sauraient être placées sur la même ligne au point de vue commercial. Des trois localités que nous venons de nommer ci- dessus, Nérac est celle dont la renommée est la plus ancienne et la plus étendue. (Avis d'un Strasbourgeois sans doute...)
Ruffec et sa région étaient connus des rois de France pour leurs bonnes recettes (Lire Guez de Balzac à ce sujet).
Un peu de gastronomie charentaise
par GOULBENEZE (SEFCO tome XI juillet-août 1977, page 259.
"On a beaucoup dit et beaucoup écrit sur la gastronomie de chez nous. Les uns trouvent qu'il n'y a pas de cuisine spécifiquement charentaise, les autres que les plats qu'on sort dans notre région n'échappent pas à la vulgarité. Sans vouloir prendre part à cette querelle stérile entre les Montaigut et les Capulet, je me bornerai à signaler qu'avant de disserter sur le genre de cuisine d'une région, il faut d'abord étudier les possibilités qu'elle offre au point de vue de ses produits, base de la gastronomie régionale. Situées entre l'Armorique, où l'on fait presque exclusivement la cuisine au beurre, et le pays de Gascogne, où triomphe la cuisine à l'huile, l'Aunis§, la Saintonge et L'Angoumois sont des provinces intermédiaires où l'on sait merveilleusement adapter un genre d'assaisonnement à chaque chose.
Et voici quelques-uns de nos produits que j'énumère ici, un peu au hasard, en me conformant le plus possible à la vérité :
Rochefort-sur-Mer.
Les thyieusses de gueurneuilles (ah ! beurnocion !), ah ! permettez, «beurnocion» pour certains, mais c'est chose exquise. Le bœuf et le mouton de pré-salé.
Matha.
L'anguille de L'Antenne « buffée » au chapeau, en plein vent. Le graton maison gras et maigre, comme il sied.
Royan.
Les sardines sans sel.
La Rochefoucauld.
Celui qui mange une entrecôte de boeuf de La Rochefoucauld, déguste un plat royal ; il n'est pas indispensable de l'arroser avec un verre d'eau de la Tardoire, fleuve qui, d'ailleurs, est à sec. Quel dommage !
Charron - Esnandes - Marsilly.
Moules marinières ; mouclades avec un jaune d'œuf, mais surtout, laissez une coquille sur les deux. Crevettes délicieusement roses (ne pas confondre avec les boucs).
Ruffec.
Pâté de foie gras truffé.
Mortagne – Talmont.
Esturgeon et l'extrait de ses œufs, le caviar. Eh ! oui, la Russie n'a pas le monopole.
La Rochelle.
Tous les fruits de la mer.
Barbezieux.
Pâté de volaille truffé.
Aigre.
La truite de l'Osme.
Ile d'Oléron.
Moules « badées », sur un feu d'aiguilles de pin (très recommandé comme arôme). Homard de la Cotinière.
Marennes - La Tremblade – Bourcefranc.
L'huître de « claire » (la saucisse plate est de rigueur ainsi qu'un vin blanc très sec). Au cas où la saucisse plate serait truffée, c'est un peu plus cher, mais tellement plus convenable !
Magnac-sur-Touvre et Le Gond-Pontouvre.
La truite saumonée.
Saint-Jean-d'Angély (ou Angèri), sous la Révolution, Angèri-Boutonne.
Pâtisseries renommées depuis toujours.
Cognac.
Je ne dirai pas son produit (par discrétion).
Pons.
Biscuits partout et quels biscuits !
Fouras.
La chaudrée fourasine (renomrnée internationale).
Jarnac.
L'andouillette royale et Cougnat ! Cougnat !
Saint-Agnant-les-Marais et Tonnay-Boutonne.
Court-bouillon d'anguilles (dites Morgains). Ne pas oublier la cuillerée de cognac pour parfumer !
Marans.
Les « mongettes piates » (à recommander avec un gigot de pré-salé). Ce n'est pas obligatoire, mais c'est plus honnête.
Aulnay-de-Saintonge et La Bracone (Angoulême).
Cuissot de chevreuil à la sauce chasseur. (Très violente à faire « saber » la goule.)
Châteauneuf-sur-Charente.
Anguille de la Charente craquelée au gratin, parfumée au cognac, discrètement couverte de sauce à l'estragon (mais, voui, Madame !). Et avec le gâteau sec : un pineau d'honneur !
J'en passe et j'en oublie; j'y reviendrai, sans doute, un de ces jours. Bon appétit, Messieurs et Dames ! Oubliez, pendant quelques instants l'opération bifteck et savourez par la pensée, les produits d'un pays qui doit être le plus beau du monde, puisqu'il est vôtre !"
GOULEBENEZE (septembre 1951).
Goulebenèze aurait pu écrire ce qui suit :