Les Rouillon et Nanteuil-en-Vallée

En 1899 : MM Rouillon frères ont fondé (repris plus excatement) un établissement de pisciculture à Nanteuil-en-Vallée. Cet établissement fondé vers 1880 par M. Deux-Desprès cessa son activité en 1895.
  • ROUILLON Félix-Alexis (Auguste en famille), est dit propriétaire-pisciculteur, à Nanteuil-en- Vallée ( Charente).

  • ROUILLON Léon (Louis Léon), est dit propriétaire, abbaye de Nanteuil, à Nanteuil-en- Vallée (Charente).

En 1897, l'abbaye de Nanteuil étant à vendre, Félix Aléxis (Auguste en famille) Rouillon n'hésita pas : enthousiasmé par la situation, la qualité et l'importance de la source, l'esprit plein de projets d'avenir, tout brûlant de cette fièvre spéciale à ceux qui touchent à la réalisation d'un rêve longtemps caressé, il consacra à peu près tout son avoir, — fruit de tout une existence de travail, — à l'achat de la propriété, et dans le but de donner à l'embryon de pisciculture qui s'y trouvait tout le développement dont il le croyait susceptible. 


Mais, quelles que soient la qualité et l'intensité de l'émotion éprouvée en présence de ces glorieux témoignages du passé, ce n'est pas là tout le plaisir réservé au visiteur qui passe le seuil de l'Abbaye. Dans ce cadre archaïque, en effet, formant avec lui un tout harmonieusement fondu, sans heurt ni confusion dans les tonalités ou les perspectives, deux choses admirables ont été créées par M. F.-A. Rouillon: un verger pomologique et une pisciculture. Le Verger remonte au 15 février 1908, et ne compte pas moins de 2.000 pieds. Il est d'allure absolument patricienne, et ses titres de noblesse ont été établis avec une inflexible sévérité par M. A. Nomblot, pépiniériste à Bourg-la-Reine.

Roy est le gendre et successeur de Rouillon.

En 1913, F.-A. (Auguste) Rouillon, propriétaire-pisciculteur à Nanteuil-en- Vallée (Charente), est vice-président du syndicat des pisciculteurs de France.


Les Rouillon sont d'origine poitevine
"Félix-Alexis Rouillon (frère de Léon Rouillon), selon le cliché trivial, laconique, mais toujours expressif, est le "fils de ses œuvres". Né dans le département de la Viennee qu'il devait doter plus tard du magnifique établissement sur lequel nous venons de jeter un rapide coup d'œil (la pisciculture de Nanteuil), il y vécut la pénible et difficile enfance des fils du peuple, à la campagne. Mais, taillé en force et débordant d'énergie, il secoua de bonne heure la poussière de ses sabots sur les guérets de l'Angoumois, et commença, à travers la France, d'abord, à travers l'Europe, ensuite, une série de voyages dont chacun d'eux forma comme un maillon de la chaîne de perfectionnement et de progrès qu'il se forgeait opiniâtrement."


Généalogie des Rouillon Ruffec-Nanteuil
(Jean) Pierre ROUILLON (journalier, né le 10 novembre 1821 à Ayron dans la Vienne, décédé le 29 mai 1871 à Ligugé) époux de Madeleine BIREAU (journalière, née en 1824 à Benassay - Vienne -, décédée le 16 août 1871 à Ligugé - Vienne) eurent :

  • Victorine ROUILLON, née 1847 vers Poitiers (décédée à Ligugé le 6 avril 1868)
  • Marie ROUILLON née 1851 vers Poitiers
  • Félix Alexis ROUILLON dit Eugène, pisciculteur), né le 30 mai 1854 à Quinçay (près Poitiers) et décédé le 23 septembre 1925 à Nanteuil-en-Vallée ; veuf en premières noces d'Augustine Adrienne Roy (dcd à Nanteuil le 17 août 1908, née à Cheü dans l'Yonne, 53 ans, fille de Edme Joseph Roy et d'Augustine Tremblaye, tous les deux dcd), et veuf en secondes noces de Marie Victoire Angladon.
  • Radegonde Rouillon née le 12 décembre 1856 à Vouneuil-sous-Biard (dcd jeune sans doute puisque ne figure pas en 1861 au recencement de Ligugé.)
  • Léonie ROUILLON, née 1857 vers Poitiers
  • Louis Léon ROUILLON, né en 1859 à Vouneil-sous-Biard (86), décédé ?
  • Florentine ROUILLON, née 1863 vers Poitiers.
Mariage de Louis Léon ROUILLON et de Clémence CHARAUDEAU, le 29 Juin 1886 à Montluçon.
  • Louis Léon ROUILLON, restaurateur, est âgé de 26 ans, et demeure à Poitiers (Vienne), au buffet de la Gare. Il est né à Vouneuil-sous-Biard, canton de Poitiers, le 15 août 1859, fils majeur et légitime de Pierre ROUILLON et de Madeleine BIREAU, tous les deux décédés à Ligugé (Vienne), Pierre le 29 mai 1871, et Madeleine le 16 août 1871.
  • Clémence Florentine CHARODEAU, sans profession, âgée de 20 ans, demeurant à Montluçon où elle est née le 10 Janvier 1866, fille mineure et légitime de Florentin CHARODEAU, mécanicien au Chemin de Fer d’Orléans, et de Clémence LACHAT, sans profession, domiciliés au Pavé de cette commune. Elle est décédée en 1934 et inhumée à Nanteuil-en-Vallée.
Ce couple donne naissance à trois enfants :
  • Roger ROUILLON, né 1887 à Quimper, épouse Germaine LEMETAYER le 28/9/1893 à Angoulême, Elle sera déportée et décédera le 9/3/1945 à Ravensbrück.
  • Léon (qui a écrit en 1920 à l'abbaye cet ouvrage : http://www.tetedeturc.com/home/spip.php?article558), puis Henri et Roger.
  • Henri Rouillon, père de Pierre (fusillé) et René (dcd en 2004 à Paris).
Louis Léon ROUILLON (orphelin à Ligugé à 12 ans, a dû se former comme cuisinier), il oeuvre au Buffet de la gare de Poitiers en 1886 puis à Quimper (où nait Roger en 1887) ; il s'installe à Paris et réussit à devenir le patron du buffet de la gare d'Austerlitz où il amasse une petite fortune. Il en confiera plus tard la gestion à son fils Henri Rouillon. Lui-même, vers 1905, reprend le buffet de la gare de Tours (il y réside en 1908).

Ainsi va cette nouvelle famille d'hôteliers : le décès de Félix Alexis ROUILLON dit Eugène, pisciculteur), né le 30 mai 1854 à Quinçay (près Poitiers) et décédé le 23 septembre 1925 à Nanteuil-en-Vallée (veuf en premières noces d'Augustine Adrienne Roy, et veuf en secondes noces de Marie Victoire Angladon) est déclaré par son gendre, Théodore Roy, 52 ans, hôtelier, domicilié au buffet de la gare d'Orléans à Angoulême.
En 1908, lors du décès d'Augustine Roy, c'était son gendre Auguste Roy qui faisait la déclaration en mairie. Théodore et Auguste sont peut-être une seule et même personne ?




"En juillet 1929, Léon Rouillon, propriétaire de l'ancienne abbaye de Nanteuil, et son fils Roger, prennent la direction de l'Hôtel de France.
Roger Rouillon est né à Quimper en 1887. Germaine, son épouse, est née en 1893 à Angoulême. Avec eux, en 1931, la mère Germaine Rouillon née à Montluçon en 1866. Ils logent à l'hôtel, huit employés (cuisinier, femmes de chambre, domestiques).










 
Fonctionnement et devenir de la pisciculture après 1929
"Nanteuil-en-Vallée et la pisciculture de l'abbaye
Le site, qui abrite les bassins en étage de l'établissement de la pisciculture de Nanteuil-en-Vallée où reposent les ruines de l'ancienne abbaye, justifie l'étymologie de «clairière de la vallée» que M. l'Inspecteur d'Académie Talbert en donne dans Les noms des communes de la Charente (Bulletin des Études Locales de la Charente n° 77, janvier 1928.)
Les voies d'accès à ce cirque aux gradins couronnés de verdure sont mal jalonnées, mais le promeneur trouve plus d'attrait à chercher lui-même sa route qu'à évoluer au milieu des plaques indicatrices qui défigurent les vieilles maisons.
Le touriste venant de la région du nord de Nanteuil ou du bas du village doit contourner l'église et suivre la rue, couverte, il y a quelques mois à peine, par les belles halles dont l'âge a eu raison, puis, laissant sur sa gauche la fontaine St-Jean, tourner à droite dans la ruelle de l'Abbaye.
Celui qui, au contraire, abandonne à l'entrée du village la grande route de Ruffec à Confolens, va retrouver cette impasse deux cents mètres plus loin, à sa gauche, au moment où paraît l'église de Nanteuil.
Il lui reste à remonter le chemin étroit et raboteux conduisant à la grille verte dont les battants s'ouvrent vers lui, quand le chien de garde a longuement réagi à l'appel de la sonnette.
Une plaque lui indique, ici, que la Pisciculture, ce mot Pisciculture, suivant l'usage courant, désignant un établissement où l'on élève des poissons, est ouverte tous les jours aux visiteurs, dans l'après-midi. La matinée est en effet réservée aux soins à donner aux truitelles, qui, pendant une partie de l'année, grandissent dans l'établissement de salmoniculture de Nanteuil.
Laissant alors sur sa droite le «Trésor de Nanteuil», il pénètre dans la clairière où se trouvent réunis les restes de l'abbaye, le jardin fruitier et les bassins de la Pisciculture.
Au-dessous, le bourg de Nanteuil étale ses longues rues sinueuses et ses maisons grises sur les pentes de la rive droite de l'Argentor, affluent de gauche de la Charente, dans laquelle il se jette à Chenon, 7 kilomètres en aval de Verteuil.
L'Argentor reçoit ici le ruisseau rapide descendant de la Pisciculture en passant sous les maisons du village.
L'agglomération abrite environ 800 habitants qui exploitent les richesses agricoles de la région, une importante scierie et les fours à chaux de la Folatière.
Comme monument, la petite fontaine St-Jean, datant du moyen âge, présente un intérêt : elle fournit à une partie de la population une eau très pure apportée par un ruisseau souterrain indépendant de celui de la Pisciculture. On peut admettre, d'ailleurs, la présence, autrefois, de plusieurs ruisselets descendant en patte d'oie du cirque vers l'Argentor, justifiant ainsi le nom latin de Nanteuil : «Nantolium in Vallibus» ou «Nanteuil dans les vallées.»
Quant à l'église paroissiale, construite au XIIIe siècle, elle a peu d'intérêt.
L'abbaye de Nanteuil-en-Vallée fut fondée par Charlemagne en 780. Elle était entourée d'un vaste domaine agricole exploité par les Bénédictins du monastère.
Au IXe siècle, pendant l'invasion des Normands, elle fut entièrement détruite par les hordes barbares descendant du Danemark.
D'après les renseignements puisés dans le Pouillé historique du diocèse d'Angoulême de l'abbé Nanglard, un seigneur du pays, Guillaume, surnommé Le Noble - Guillaume II, comte d'Angoulême, suivant lui, - comte de Ruffec, d'après d'autres, - la restaura en 986.
Dès le XIe siècle, une maladrerie, dite de Saint-Thomas de Nanteuil, en dépendait. Elle était située au nord du bourg, sur la route de Charroux ; on n'en retrouve -plus de traces après le XVe siècle.
L'église abbatiale, toujours d'après l'abbé Nanglard «commencée en 1046, à l'aide de dons faits par Aymard de La Rochefoucauld, Seigneur de Ruffec, ne fut achevée que dans les premières années du siècle suivant
La façade regardait le nord; une porte à l'ouest servait aux habitants du village.
Au sud, peut-être plus ancienne que l'abbatiale, se trouvait une haute tour carrée d'un style roman robuste et élégant. Deux salles voûtées superposées contenaient les trésors et les archives de l'abbaye. La vieille tour porte encore aujourd'hui le nom de «Trésor de Nanteuil».
A faible distance, plus au sud encore, existent des magasins immenses, qui semblent avoir été élevés plus tard, au XIIIe siècle, en même temps que l'église paroissiale.
En 1459 et années suivantes, l'abbaye de Nanteuil subit deux fois les ravages et les pillages des armées anglaises.
L'abbé Nanglard ajoute : «L'Abbé Pierre Reignauld, de 1439 à 1448, en reprit la restauration. L'un de ses successeurs, Aimerie Texier, de 1468 à 1492, la poursuivit avec succès
La crypte du «Trésor» servit, alors à réunir les ossements des victimes des bouleversements passés. De là est née la légende que Charlemagne y reposait. On cite même, à Nanteuil, ce mot d'un guide montrant les restes momifiés d'un corps sous la dalle disjointe d'un sarcophage : «Si ce n'est pas Charlemagne, il lui ressemble beaucoup !».
L'abbaye ne revit plus sa splendeur d'autrefois. Tombée en décadence au XVIIIe siècle, l'évêque de Poitiers la supprimait en 1770.
La Révolution la laissa en ruines dans l'état où elle figure sur un dessin de la Statistique monumentale de la Charente de l'Abbé Michon.
Il ne reste plus aujourd'hui que des vestiges des trois portes de la façade et de la porte de l'ouest, ainsi que des ruines imposantes de la tour du «Trésor» permettant d'imaginer la beauté de l'ancienne abbaye.
Il semble que les invasions de barbares et les pillages qui ont longtemps désolé le pays, aient laissé des traces. On cite encore ce dicton, à Nanteuil : «Bon pays ! Chéti's gens ! Mauvaise renommée !»
Si cette réputation n'avait disparu de longue date, il est peu probable que Eugène (Félix-Alexis) Rouillon, quand il acquit les terrains voisinant les ruines, ait jamais songé à créer en pays de maraudeurs son magnifique jardin fruitier.
Ce cirque et sa clairière exposés au midi étaient un merveilleux champ d'expérience pour un amateur d'horticulture.
Tout en respectant les ruines, qu'il conserva à grands frais dans le meilleur état possible, il construisit sur les pentes abritées des vents froids des terrasses en gradins dont les murs rustiques furent couverts d'arbres fruitiers en espalier, réservant aux gradins les poiriers en pyramide ou en quenouille et les pommiers sur cordons ou en plein vent.
Ainsi sont conservés depuis 1908 plus de cinq cents arbres comprenant les espèces les plus diverses et les plus renommées.
Sans doute,
Eugène (Félix-Alexis Rouillon), frère de Louis Léon qui dirigeait le buffet de la gare Paris-Austerlitz, restaurant réputé au début du siècle, trouvait-il son intérêt dans cette pomoculture de luxe, mais aussi, spectateur journalier de la ruée vers la capitale, son coeur de philanthrope le poussait-il à ne pas oublier le confort gastronomique du voyageur par force et à faire savourer les fruits les meilleurs à ceux qui, trop souvent, avaient à vivre loin de la table de famille.
Les mêmes intentions utiles et bienveillantes lui ont suggéré l'idée d'approvisionner les restaurateurs en truites vivantes.
C'était, en-effet, le désir des pisciculteurs, il y a plus de 30 ans, de donner le plaisir au consommateur de voir en aquarium la truite qui allait flatter son palais de gourmet.
Un essai en fut tenté à Nanteuil dès 1885 par une société de Ruffec (pisciculture de Nanteuil créée par M. Deux-Després). Ce groupement, au capital de 40.000 francs, commença les travaux de la Pisciculture.
La lenteur des transports à l'époque, l'insuffisance du matériel pour les voyages de longue durée jouèrent contre cet établissement de pisciculture en miniature. Il ferma ses portes en 1895.
En 1900 (1899),
Félix-Alexis Rouillon devint propriétaire de cette Pisciculture et en même temps son frère des ruines de l'abbaye.
Aidé par son gendre, Auguste Roy, il développa l'installation de l'ancienne société, augmenta le nombre des bassins et réalisa la Pisciculture actuelle.
Après sa mort, en 1924, Auguste Roy continua l'exploitation jusqu'en 1929, moment où la partie piscicole fut prise en location par la Fédération des Sociétés de pisciculture et de pêche des départements de l'Ouest, qui en changea le but commercial et borna son programme à ne produire que des alevins pour le repeuplement des cours d'eau.
Une commission, dite Commission de Pisciculture de Nanteuil-en-Vallée, composée de représentants retraités des Administrations des Eaux et Forêts, des Ponts et Chaussées, de médecins, de négociants, d'industriels et de propriétaires, se charge d'administrer l'établissement et de suivre les travaux de repeuplement.
Largement aidée, au début, par l'Etat, tant moralement que financièrement, elle est arrivée à se suffire à elle-même et, aujourd'hui, elle n'est pas étrangère à l'accroissement-notable des salmonidés, ou tout au moins au maintien de leur existence, dans beaucoup de cours d'eau de la Charente, de la Charente-Inférieure, des Deux-Sèvres, de la Vienne, de la Haute-Vienne, de l'Indre et de la Corrèze.

La truite
Avant d'aborder une description détaillée de la Pisculture de Nanteuil-en-Vallée et des procédés de pisciculture mis en application dans cet établissement, il paraît utile de parler un peu de la vie de la truite.
La truite est un poisson carnassier vivant dans les eaux claires, froides et très aérées. Son existence en eaux limpides lui donne une grande acuité visuelle qu'elle met à profit pour rechercher une nourriture abondante faite de vers, larves ou êtres vivants aquatiques, y compris les poissons, sans excepter la truite, et d'insectes vivants tombés dans l'eau ou qu'elle peut attraper en sautant hors de l'eau.
Sa chair, très appréciée, est naturellement blanche, mais prend souvent, comme celle du saumon, une coloration rose plus ou moins accentuée. Cette teinte, qui fait dire que la truite est «saumonée», provient de ce qu'elle s'est nourrie de crustacés de tous ordres dont la carapace contient presque toujours des pigments rouges, qui, passant dans l'organisme, viennent colorer la chair. Ces crustacés abondent aussi bien dans la riche végétation des eaux douces traversant des terrains calcaires que dans les eaux salées. Si la chair du saumon est toujours plus rouge que celle de la truite, c'est parce que, pendant sa vie dans les profondeurs de la mer, il se nourrit de crustacés dont la carapace contient des pigments rouges en plus grande abondance. La chair redevient blanche quand elle est privée de cette nourriture de choix.
La truite est très vorace. Les pêcheurs à la ligne tirent parti de cet appétit féroce et lui présentent avec succès des imitations d'insectes ou de poissons sur lesquels elle fonce avec brutalité.
La lutte entre l'homme et ce poisson doué d'une puissance et d'une rapidité de nage exceptionnelles, très vigoureux, méfiant, rusé et, si j'ose dire, ayant la compréhension du danger, présente un tel intérêt qu'un véritable sport en est né : les Anglais en ont remarquablement perfectionné la pratique et, dans leur admiration pour cet adversaire, l'ont gratifié du genre masculin.
La truite change d'aspect suivant le milieu où elle habite et tel sujet de couleur brune se confondant avec le fond des cours d'eau traversant des terrains granitiques prendra un aspect grisâtre quand les circonstances fixeront sa vie sur des fonds à teinte claire.
Ce mimétisme défensif existe chez tous les poissons, mais il joue d'une façon plus intense, plus fréquente et plus rapide chez la truite, migratrice constante à la recherche de frayères ou d'habitats répondant mieux au besoin d'oxygène en excès
nécessaire à sa respiration. Ce sont là les causes de changements d'aspect très sensibles, qui, souvent, intriguent le pêcheur.
Comme la très grande majorité des poissons, la truite est ovipare. Elle pond, une fois par an, des oeufs qui atteignent presque 5 millimètres de diamètre, d'aspect jaunâtre ou rougeâtre et demi-translucides, une truite de 2 livres en pond environ 2.000.
Elle les dépose dans les graviers lavés par des eaux froides, très claires et très oxygénées. Là ils gisent, arrêtés dans ces graviers, à l'abri des souillures du sable ou de la boue, mais restant apparents, à la merci des prédateurs. La durée de l'incubation varie avec la température de l'eau ; de 6 semaines environ à 10°, elle se prolonge si l'eau est plus froide et diminue si elle est plus chaude.
Ces graviers se trouvent le plus souvent dans le haut des rivières et dans les petits cours d'eau qui en jalonnent les rives, mais existent aussi dans les parties moyennes ou basses des cours d'eau. C'est pour remonter vers eux et atteindre en même temps les eaux favorables qui les baignent que la truite se déplace de la fin de l'automne au début du printemps.
Quand, dans notre région, on parle de truite, il s'agit de l'espèce truite commune ou «fario», de son nom scientifique «Salmo fario».
C'est la truite au corps parfait de ligne, à dos brun plus ou moins foncé, au ventre argenté ou légèrement doré, tachetée de points noirs sur la région dorsale et les faces latérales; dans ces taches noires plus ou moins accentuées sont parsemés des points rouge orangé vif : on croit à tort qu'ils indiquent une chair saumonée, mais rien ne peut déceler cet état auquel j'ai déjà fait allusion. Ces points rouges disparaissent d'ailleurs quelquefois sous le jeu du mimétisme.
La nageoire caudale est caractéristique : vue de profil, elle est sans échancrure à son extrémité, pour ne rien enlever, semble-t-il, à la puissance de ce poisson qui peut remonter des chutes d'eau d'un mètre et plus.
Cette truite «fario» est rarement sédentaire. S'il lui arrive de se cantonner dans des rivières à flore immergée abondante, connue la Charente en aval d'Angoulême, où, grâce à une large vallée et des rives basses, les eaux sont aérées et tempérées en même temps par des ruisseaux à eau fraîche, qui lui offrent des frayères à portée immédiate, elle est plutôt poussée à une migration constante, à la recherche d'eaux plus froides, plus courantes et contenant pour ses besoins respiratoires, surtout à l'époque de la reproduction, une quantité plus grande d'oxygène dissous. De telles eaux, refroidies par des sources glacées à fort débit, peuvent exister très en aval du cours supérieur des rivières.
Fantaisiste dans sa nourriture, journalière dans son appétit, fougueuse dans sa recherche de l'appât, brutale et opiniâtre quand elle a mordu à l'hameçon, c'est la truite aimée du pêcheur.
Il n'obtient pas les mêmes satisfactions avec la truite arc-en-ciel, qui, plus vorace encore que la précédente-, se laisse aussi plus aisément capturer sans déployer la ruse de la «fario».
La truite arc-en-ciel, dont l'espèce la plus connue est «Salmoirideus», fut importée d'Amérique. Sa chair est moins appréciée que celle de la «fario», mais quand des sujets de chacune de ces espèces se sont également nourris de proies vivantes, rares sont peut-être les gourmets qui pourraient faire une différence. Corps moins allongé; nageoire caudale échancrée au milieu, comme celle du saumon; dos bleuté ou verdâtre; la ponctuation noire plus intense et plus fine descend sur les côtés jusqu'au ventre très blanc; une bande pourpre orne les flancs de la tête à la queue; sous l'effet du mimétisme, également, cette bande peut disparaître en même temps que se modifient la couleur et les taches.
Contrairement à la «fario», elle s'acclimate dans des eaux tempérées, profondes et relativement peu aérées. Sa voracité la pousse à des déplacements constants à la recherche d'habitats où la nourriture est très abondante et, quand elles ne sont pas bloquées dans des eaux closes, il est exceptionnel de retrouver à l'état-type les truitelles arc-en-ciel dont on a voulu peupler un cours d'eau.
S'il est, en effet, prouvé que les alevins d'arc-en-ciel échappés de la Pisciculture de Nanteuil se sont acclimatés dans l'Argentor et s'y sont même reproduits, il faut, par contre, avouer que l'on n'a presque jamais revu adultes ceux qui, entre 1920 et 1930, ont été déversés en grand nombre dans la Charente en aval d'Angoulême, la Sèvre Niortaise, la Boutonne et l'Auxance.
On est donc porté à croire, puisque, dans les espèces arc-en-ciel, certaines sont réputées opérer leurs déplacements vers l'amont et les autres vers l'aval, que les alevins immergés dépendaient de cette seconde catégorie et sont allés grossir le contingent des truites de mer clans les estuaires de la côte ouest.
On a beaucoup parlé de la truite de mer, - généralement appelée «Salmo trutta», - à chair exquise presque toujours saumonée, à robe grisâtre finement ponctuée de noir.
Est-ce réellement une espèce de truite ? Je n'ai la prétention ni de discuter la question, ni surtout de la résoudre, mais quand on voit la facilité avec laquelle les truites changent d'habitat et d'aspect en même temps, il n'est pas interdit d'en douter.
Il semble bien que l'opinion anglaise soit contre l'existence de l'espèce et qu'elle donne le nom de «sea trout», comme nous donnons celui de truite de mer, à des sujets s'accommodant très bien à l'eau salée dans les estuaires, mais remontant tous les ans dans les fleuves pour aller faire leur ponte en eau douce.
Ces truites existent en grand nombre à l'embouchure des fleuves côtiers de la Manche et de la mer du Nord. Elles sont peu connues sur la côte ouest.
Quand Eugène Rouillon a pris la Pisciculture de Nanteuil, il caressait le projet d'avoir une espèce à lui, en essayant un croisement de la truite de la Touvre, généralement saumonée, avec la truite d'Ecosse, ou plus exactement la truite originaire du Lock Leven, toujours saumonée celle-ci. Sans doute, espéraïï-il diriger patiemment l'atavisme vers une espèce saumonée de naissance ! Il n'a pas persévéré dans cet essai.

La trutticulture
L'établissement de pisciculture de Nanteuil-en-Vallée ou, plus exactement de trutticulture, puisqu'il fait uniquement l'élevage de la truite, a pour rôle, comme toutes les organisations du même genre, d'atténuer les déchets constatés en eaux libres dans la fécondation des oeufs, - déchet atteignant environ 50 %, - d'en surveiller l'incubation et l'éclosion et d'élever les alevins jusqu'au moment de leur envoi dans les cours d'eau, sans perdre de vue le contrôle du choix des rivières à aleviner, de façon à assurer au mieux le repeuplement de la région déjà décrite.
La Pisciculture de Nanteuil est alimentée par une rivière souterraine sortant d'une grotte à mi-flanc du coteau. On peut remonter son cours sous la voûte rocheuse pendant une quarantaine de mètres, mais on n'a pas de précision sur l'origine de la source.
Son débit est d'environ 1.200 litres à la minute et la température de l'eau de 8° à 9°.
En temps normal, cette eau est d'une limpidité parfaite.
Dans les périodes de grandes pluies, elle est quelquefois un peu trouble et semble avoir traversé des terrains argileux; cela pourrait donner raison à ceux qui prêtent à ce cours d'eau un long parcours souterrain, mais cet inconvénient n'a jamais nui à l'élevage de Nanteuil.
Cette eau, retenue tout d'abord dans un bassin à la sortie de la grotte, part de là dans deux directions.
D'un côté, elle remplit un réservoir de décantation de 200 mètres cubes, pouvant en même temps servir d'alimentation de secours en cas d'accident à la vanne, qui, à la sortie du bassin de la grotte, commande l'ensemble de la Pisciculture.
Sortant de ce grand réservoir, l'eau passe dans la salle dite d'incubation ou laboratoire.
De l'autre, elle tombe en cascade et approvisionne deux séries de grands bassins se déversant les uns dans les autres : une série de 8 en contre-bas de la salle d'incubation; l'autre de 9, plus grands, sur le plan des ruines de l'abbaye et suivant une dénivellation de 16 mètres.
Cette petite rivière retrouve son lit au sortir de la Pisciculture.
La salle d'incubation constitue seule ce que l'on peut appeler la piscifacture, les bassins à l'air libre ne servant qu'à abriter les alevins déjà élevés.
Cette salle d'incubation est une vaste pièce avec sol en ciment, bien aérée, bien close et à l'abri de la chaleur et du froid.
Sous un même toit, elle comprend deux parties.
En amont sont disposés en divers gradins 30 bacs en ciment
de 2 m sur 40 cm., où les oeufs sont mis en incubation.
En aval, 30 bacs d'élevage, appelés également rigoles, s'alignent en 8 rangées de 12 m. sur 80 cm.
Tous ces bassins ou rigoles, dont la profondeur varie de 15 à 50 cm., sont surélevés pour permettre au pisciculteur de travailler sans fatigue.
Des tuyaux percés de trous y laissent tomber en pluie une eau ainsi parfaitement aérée. Tous ces bacs communiquent entre eux, mais peuvent être alimentés ou vidés séparément.
Au centre de la salle, un canal évacue l'eau qui tombe des trop-pleins ou qui ruisselle de tous côtés sur le sol.
Cette installation permet de traiter plusieurs centaines de mille oeufs, qui, d'ailleurs, n'y seront déposés par le pisciculteur qu'après un blanchissage à la chaux de toute la salle et un nettoyage des bacs à l'acide chlorhydrique et au formol, la propreté la plus méticuleuse et l'asepsie la plus parfaite étant les facteurs indispensables de la réussite.
D'où, maintenant, proviennent les oeufs à mettre en incubation ?
Les pisciculteurs conservent habituellement dans leurs bassins des sujets reproducteurs, truites ayant dépassé l'âge de 3 ans et pesant environ 2 livres.
Pour conserver la pureté de la race, ces truites doivent être pêchées dans les cours d'eau, d'où le nom de reproducteurs sauvages. Théoriquement, ils devraient être renouvelés tous les ans, mais, dans la pratique, on les conserve pendant 3 ou 4 ans.
L'emploi de reproducteurs provenant de l'élevage de la Pisciculture elle-même donne rapidement des sujets dégénérés. Ces derniers, comme, d'ailleurs, les reproducteurs trop jeunes, fournissent, en dehors d'un déchet considérable à l'éclosion, des alevins maigres, filiformes, bossus, n'ayant guère de chance de s'adapter en eau libre et qui, au surplus, y sont indésirables.
Quand arrive l'époque de la ponte, - vers décembre ou janvier, - d'autant plus précoce que les eaux sont moins froides, on isole les mâles et les femelles et, lorsque le pisciculteur, en palpant le ventre des femelles, a constaté la maturité des oeufs, il procède artificiellement à la ponte et à la fécondation.
En théorie, le procédé est simple : un premier opérateur tient la femelle, la tête en haut, d'une main et de l'autre lui saisit la queue de façon à lui éviter tout mouvement brusque susceptible de la blesser; le second opérateur exerce sur le ventre du poisson un léger massage de haut en bas; sous cette pression, qui doit être très douce, les oeufs sont expulsés et recueillis dans une cuvette désinfectée au formol. L'opération dure de i à 2 minutes.
Dans la pratique, la truite ne fait pas toujours montre d'une si parfaite docilité. Sans la brusquer, il faut souvent s'y reprendre à plusieurs fois, la caresser par des massages préalables et bientôt elle cessera de retenir ses oeufs.
On prend ensuite le mâle et l'on opère comme pour la femelle en faisant tomber la laitance sur les oeufs à sec dans la cuvette. Quelques centilitres d'eau pour bien répartir cette laitance et les oeufs sont fécondés.
La méthode qui consistait à faire tomber les oeufs dans l'eau et y mélanger la laitance est généralement abandonnée.
On procède quelquefois, - souvent par manque de main-d'oeuvre, - avec un seul opérateur : pour libérer la main qui doit faire le massage, il maintient la queue de la truite dans un sac suspendu à son cou. L'opération est pénible pour le poisson qui reste plus longtemps en dehors de son élément et subit, du fait des soubresauts difficiles à maîtriser, une fatigue supplémentaire qu'il est cruel de prolonger.
Depuis que la Fédération exploitante a décidé de se borner à l'élevage de la truite commune, la Pisciculture de Nanteuil ne produit plus elle-même les oeufs qu'elle traite, parce que la température de l'eau des grands bassins à l'air libre, dans ce cirque exposé au midi, est trop chaude pour y garder en été des reproducteurs ou même des truitelles de cette espèce.
Elle s'approvisionne donc en oeufs fécondés dans des Piscicultures possédant des eaux propices et, en fait, les oeufs reçus d'Alsace, du Massif Central et même indirectement du Danemark, lui ont toujours permis de fournir des alevins reconnus de belle race.
Le voyage de ces oeufs exige de grandes précautions. Après une vingtaine de jours d'incubation à la Pisciculture d'origine et lorsqu'ils sont reconnus embryonnés - et, sous aucun prétexte, on ne doit les manipuler avant - c'est-à-dire quand on aperçoit deux points noirs qui sont les yeux du futur alevin, les oeufs sont placés, en nombre égaux, sur des cadres en toile de 30 centimètres sur 25.
Ces cadres sont empilés par 20 ou 30, les oeufs ne devant jamais être en contact avec la toile du cadre supérieur.
La pile est surmontée d'une première boîte à claire-voie pleine de mousse et d'une seconde contenant 5 kgs de glace cassée en gros morceaux.
Pour obtenir un isolement complet, l'ensemble est enveloppé de papier sulfurisé, recouvert, lui-même, de plusieurs épaisseurs de gros papier d'emballage.
Tout cet édifice est introduit dans une caisse et bien calé dans de la sciure de bois, de façon à éviter tout: flottement et à conserver pour les oeufs une basse température.
Par surcroît de sécurité, l'étiquette traditionnelle indique la nécessité de maintenir le colis vertical et à l'abri de la chaleur.
Arrivés à destination, les cadres sont mis dans l'eau, pour adapter progressivement les oeufs à la température de leur nouveau milieu et, à partir de ce moment, qu'ils aient été fécondés dans une Pisciculture étrangère ou bien sur place, ils sont soumis au même traitement.
Il faut dire tout de suite et une fois pour toutes, que les oeufs ou les alevins ne subiront jamais le contact des doigts du pisciculteur : toutes les manipulations se feront à l'aide de la barbe d'une plume d'oie sur des cadres tendus de fine toile ou, surtout, avec le secours de grosses pipettes et de ballons de verres, dans lesquels seront aspirés et transportés déchets et alevins, ou, enfin, par vidage des bacs sur des tamis de soie.
Toutes ces précautions sont dictées par le besoin de maintenir partout et toujours une propreté parfaite et de ne jamais blesser ces êtres si fragiles à leur naissance, toute blessure se traduisant par une perte d'écaillé, plaie ouverte à l'infection.
Les oeufs fécondés sont donc placés le plus vite possible, qu'ils soient vidés de la cuvette de ponte ou transférés du cadre de voyage par renversement clans l'eau, - sur des claies à cadre métallique avec fond garni de minces tubes de verre, dispositif qui empêche les oeufs de se toucher, tout en rendant facile un comptage, approximatif peut-être, mais rapide.
Ces claies contenant chacune 5.000 oeufs sont disposées par quatre dans les bacs d'incubation décrits plus haut, où elles restent toujours en eau courante.
A la température de l'eau de Nanteuil, l'éclosion se produit au bout d'environ 30 jours. Pendant tout ce temps, le pisciculteur a éliminé les oeufs opaques, indication certaine qu'ils n'écloront pas, et toutes les impuretés.
Aussitôt nés, pour leur éviter le contact des débris d'oeufs, déchets devenus putrescibles, les alevins sont changés de bacs.
Là, pendant 10 à 12 jours, la jeune truite, dont la longueur atteint à peine 8 millimètres, va vivre sur la réserve de nourriture très condensée contenue dans sa vésicule vitelline, poche transparente que, comme tous les poissons, elle porte sous le ventre. Cette vésicule se résorbe peu à peu; elle ne tombe que chez les sujets malades. A partir de ce moment l'alevin est capable de pourvoir lui-même à son alimentation, ce qu'il fait d'ailleurs dans la nature puisque la truite, après sa ponte, néglige totalement sa progéniture.
En pisciculture, le changement de régime alimentaire est un moment critique, car on doit commencer à nourrir l'alevin au moment, même où ses réserves sont épuisées.
On atténue les risques de cette période dangereuse en apportant la nourriture artificielle 1 ou 2 jours avant la résorption de la vésicule vitelline ; les premiers nés ont tout de suite satisfaction et les retardataires peuvent profiter d'une alimentation qui ne leur est pas encore indispensable.
Quant aux sujets trop faibles pour supporter le changement de régime, leur cadavre va rejoindre les déchets de toute sorte dans les pipettes de nettoyage.
On dit souvent que la truite commune traverse moins bien cette crise que la truite arc-en-ciel : en réalité, Nanteuil n'a jamais enregistré de pertes anormales dans son élevage de «fario».
Les alevins ont grandi et, à ce stage, leur longueur dépasse 1 cm.
On les transporte alors dans les bacs alignés au bas de la salle d'incubation, - dans les rigoles, autrement dit, - où ils resteront 3 ou 4 mois pour atteindre la taille de 5 à 6 centimètres, objet constant des soins du pisciculteur, qui, tous les jours, avant de leur apporter une nourriture dont la qualité ira très rapidement en augmentant, retire des bacs les déjections, les poissons morts, les alevins mal conformés ou lui semblant
inaptes à faire plus tard des truites de qualité et de santé parfaites.En même temps, il surveille la croissance des sujets et, la voracité de la truite étant telle que, même dans les bacs, elle dévore ses congénères plus faibles, il réunit tous ceux de taille égale.
Avec leurs 3 mois et leurs 5 centimètres, les alevins ne peuvent plus rester en surpeuplement dans les bacs. Ils doivent donc être envoyés aux cours d'eau ou faire un stage dans les bassins extérieurs de la Pisciculture.
Avant l'âge de 3 mois les alevins ne peuvent pas être élevés dans ces bassins, parce que, sous l'action de la lumière solaire, le fond se recouvre d'une mousse fine et épaisse dans laquelle, au moment des vidages, ces petits poissons sont retenus et risquent de périr. Or, avec la grandeur de ces bassins, le seul moyen de procéder au nettoyage est de les vider. A la rigueur, en cas d'impossibilité -momentanée, on conserve les alevins en bacs flottants, mais il est alors difficile de leur donner les soins nécessaires.
La Fédération de l'Ouest envoyant sa production aux eaux libres quand les alevins ont 3 mois n'utilise donc pas ces grands bassins. Il n'en est pas moins intéressant de voir comment s'y comportent les alevins de truite arc-en-ciel élevés par le propriétaire de Nanteuil pour livrer de la truite de consommation.
Ces bassins sont de 3 sortes. Ceux de faible profondeur, 25 à 30 centimètres et de dimension restreinte, 4 mètres sur 4, recevant les alevins dépassant 3 mois, âge où ils sont assez robustes pour se dégager eux-mêmes de la végétation qui en tapisse le fond.
Ceux de taille et de profondeur moyennes, soit 6 mètres sur 6, pour un creux d'un mètre et plus, où grandissent rapidement les truitelles.
Enfin, les plus grands, de 6 à 8 mètres de côté, destinés autrefois à la garde des reproducteurs, poissons d'au moins 3 ans et atteignant un poids de 2 livres et plus.
Tous ces bassins sont disposés pour se déverser les uns dans les autres ou pour communiquer entre eux, mais ils ont aussi chacun, leur indépendance, leur trop-plein et leur vanne de vidage. Ils varient de forme suivant leur emplacement : certains très allongés, faciles à vider et à remplir très rapidement, servent de pêcherie.
Quant aux soins à donner aux occupants des bassins, qu'ils soient jeunes ou adultes, ce sont les mêmes que dans la salle d'incubation : propreté parfaite, triage constant par taille, isolement des malades, pour lesquels sont réservés les deux bassins d'aval.
Ces soins sont maintenant plus faciles puisqu'ils se bornent à des vidages ou à des remplissages et à des changements de bassins. Les truitelles y grandissent très vite et atteignent de 12 à 15 centimètres à l'automne.
Ces poissons destinés à la consommation doivent être poussés par le pisciculteur, aussi rapidement qu'un régime alimentaire prudent le permet, à un poids qui peut varier de 120 à 150 grammes, pour une longueur de 20 à 30 centimètres.
C'est là la truite dite «de portion», vendue de 22 à 25 francs le kilog, prix pratiqués en 1937.
Quand elle dépasse cette taille de portion, la truite de pisciculture devient plus difficile à utiliser pour le restaurateur ; elle perd donc de sa valeur et le cours du poisson de 2 livres tombe à 20 francs le kilog., tout en ayant coûté plus cher à élever.
La truite morte est facile à expédier, avec emballage de papier sulfurisé, dans des caisses ou paniers remplis d'herbe fraîche. Elle supporte ainsi 24 heures de voyage. La glace est indispensable en été.
Pour le transport du poisson destiné à paraître en aquarium, on se sert de wagons réservoirs ou de récipients spéciaux, avec diffuseurs d'oxygène.
On dit généralement que la truite de pisciculture n'est pas un mets de choix. C'est sans doute le cas quand la truite nourrie de viande ou de poisson arrive dans l'assiette du consommateur sans bénéficier d'un régime alimentaire raisonné. Les pisciculteurs sont cependant arrivés à modifier cette opinion, mais il est des secrets professionnels qu'il ne faut pas trahir : on risquerait de nuire ainsi à celui qui a fait le renom des truites de Nanteuil.
Cette allusion à l'alimentation nous rappelle que le moment est venu de s'occuper de celle des alevins de truite, sujet différé jusqu'ici, parce que cette nourriture, dans des proportions ou sous des aspects différents, étant la même à tous les âges, on risquait des répétitions fastidieuses.
A l'état libre et au moment où ils sont aptes à la chercher, les alevins la trouvent dans le menu plancton des eaux.
Prisonniers en surnombre dans une Pisciculture, les êtres infiniment petits de ce plancton sont en quantité insuffisante pour que les alevins en profitent tous.
Force est donc de recourir à une nourriture artificielle faite de pulpe de rate de boeuf, non seulement râpée, mais, jusqu'à 3 mois, passée au tamis.
Pour les sujets arrivés à la fin de leur réserve alimentaire, elle leur est présentée deux fois par jour, très diluée dans de l'eau et formant un liquide sanguin contenant en suspension des parcelles très ténues, faciles à absorber pour des organismes venant, de naître.
Après résorption de la vésicule, pendant leur vie en bacs et rigoles, la rate leur est offerte en pâte étendue sur des plaques de toile métallique suspendues clans l'eau ou même sur des pots de fleur renversés. On est étonné de la voracité avec laquelle les alevins se précipitent sur ce repas et de la rapidité apportée à absorber jusqu'à la dernière parcelle de cette ration qui leur est dispensée encore deux fois par jour.
Quant à la quantité à donner, on doit l'équilibrer par tâtonnements en ne perdant pas de vue que des repas plus fréquents sont préférables à une nourriture trop abondante donnée en une seule fois.
Pour l'alevin élevé dans les bassins en plein air et jusqu'à ce qu'il ait environ un an, la rate n'est plus passée au tamis, mais simplement râpée.
Quant au poisson adulte destiné au commerce de consommation, il se contente de viande râpée, toutes précautions étant prises pour que les déchets soient journellement éliminés et ne forment pas un dépôt putrescible au fond des bassins.
Au sortir des rigoles, vers 3 ou 4 mois, 1.000 alevins se contentent de 750 grammes de rate; à 9 mois, ces mêmes mille en exigeront 8 à 10 kgs.
Trouver des rates pour un millier d'alevins est facile; la difficulté est tout autre quand les rigoles en contiennent 350.000 et plus. Il faut avoir recours au marché parisien, qui fournit des rates congelées donnant toute satisfaction, mais dont, faute 'organisation frigorifique à portée, on ne peut faire une large provision d'avance.
Le pisciculteur doit donc s'ingénier, pour parer aux retards possibles dans les arrivages et essayer d'atténuer les frais élevés de nourriture, à trouver une alimentation occasionnelle de remplacement.
La cervelle, la moelle sont très appréciées des alevins; le foie de boeuf le serait également si l'on pouvait le réduire en parcelles assez ténues, quoiqu'on l'accuse de manquer de vitamines, reproche qui n'est pas fait à la rate; le poisson de mer aussi est du goût de ces jeunes truitelles.
Nanteuil a même essayé en période de crise alimentaire un mélange de sang et de farine de riz, essai abandonné après constatation de l'adresse avec laquelle les jeunes truitelles savaient absorber le sang et laisser au fond des bassins la farine de riz : le surplus de main-d'oeuvre de nettoyage contrebalançait l'économie.
Quel que soit le goût des truitelles, il est sage de varier le mode d'alimentation et d'atténuer ce régime carné par l'emploi assez fréquent d'une nourriture moins échauffante, en mélangeant de temps en temps à la rate des farines à base de poisson séché ou des farineux cuits : blé, orge ou riz.
Le lait caillé même, ou le fromage blanc peuvent être parfois donnés en repas et sont très efficaces contre l'entérite qui vient en tête de liste des maladies que le pisciculteur doit prévenir pour ne pas envoyer aux eaux libres des sujets risquant d'en contaminer la faune.
A ces maladies, entérite, mousse, furonculose et tant d'autres qu'un régime alimentaire très étudié et des soins de propreté bien appliqués peuvent éviter, - on reconnaît que le seul contact de mains salies avec l'eau des bacs peut déclencher une épidémie d'entérite, - il faut ajouter la chute de corps étrangers clans les rigoles habitées. C'est pour l'empêcher que l'écriteau «Défense de fumer» a été placé à l'entrée de la salle d'incubation, car l'alevin engloutira avec sa voracité habituelle la cendre que laissera tomber le fumeur en se penchant sur les bacs et il en mourra ; en dehors de cela, la truite n'est nullement incommodée par l'odeur du tabac.
Il existe un danger d'un autre ordre pour le poisson des bassins de pisciculture : ce sont les martins-pêcheurs, ces jolis oiseaux capturant les alevins à la cadence d'environ 12 à l'heure.
Afin de faire ressortir l'importance des soins incombant au pisciculteur responsable d'une grosse agglomération de poissons, quelques chiffres s'imposent : Nanteuil met tous les ans en incubation 400.000 oeufs de truite commune. Le choix judicieux fait des oeufs lui permet de ne pas généralement dépasser 2 à 3 % de déchet à l'éclosion.
Le rendement définitif varie entre 75 % et 90 %, alors qu'au début de l'exploitation fédérale ces chiffres étaient de 30 à 50 %.
C'est donc environ 300 à 350.000 alevins de truite commune que la Pisciculture livre à sa clientèle au début du printemps.
Cette production pourrait être sensiblement augmentée, mais la question ne se pose pas pour l'instant, car Nanteuil aurait des difficultés à en trouver l'écoulement clans la région qu'elle approvisionne.
Nanteuil a essayé l'élevage du saumon. Les oeufs embryonnés reçus de la Pisciculture Nationale d'Oloron ont donné d'excellents résultats à l'éclosion, mais, dans la suite, ces alevins, si jolis dans leur robe foncée filigranée d'or, n'ont pas grandi, conséquence d'une nourriture mal appropriée.
Ces essais n'ont pas été poursuivis parce que la rareté constatée de frayères dans le bassin charentais rendait inutile une tentative de faire de la Charente une voie de migration pour ce poisson. Mais nous entrons là dans l'histoire du saumon et devons revenir-à nos alevins de truite commune que nous avons laissés au point où ils vont jouer leur-rôle dans le peuplement des cours d'eau, restant entendu qu'une étude et un choix judicieux de ces cours d'eau a été fait, la truite devant naturellement y trouver toutes les conditions biologiques utiles.
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(1) Dans cet article écrit en 1938, l'auteur André HINE (délégué cantonal, Président de la Commission de Pisciculture de Nanteuil-en-Vallée) dit qu'Eugène Rouillon reprit la pisciculture en 1897. Eugène est Félix-Alexis Rouillon (décédé en 1924) - qui deviendra vice-président du syndicat des pisciculteurs de France vers 1912 – accompagné de Léon Rouillon son frère aussi propriétaire de l'abbaye. Léon Rouillon, restaurateur, dirigeait après celui de Poitiers le buffet de la gare Paris-Austerlitz. Léon Rouillon, propriétaire du logis d'Oyer à Bioussac, acheta avec son fils Roger, en décembre 1928, l'Hôtel de France à Ruffec.
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