L'oie, une production gauloise
Le foie d'oie, une vieille histoire
(1868) L'oie paraît avoir été domestiquée par les Grecs (1). C'est du moins l'avis d'Isidore Geoffroy : suivant Pictet elle aurait été auparavant en Asie.
L'oie sauvage nous est parfaitement connue, elle vient chez nous tous les ans. La comparaison des types est donc bien facile. Elle montre que l'oie domestique a grandi et a changé de couleur le plus souvent pour blanchir.
Déjà au temps de Varron et d'Horace, c'est-à-dire dans la période comprise de l'an 116 à l'an 26 avant notre ère, l'oie blanche était regardée comme la meilleure et comme produisant les foies gras les plus délicats. On recherchait donc déjà chez l'oie, à cette époque, les qualités qu'on lui fait acquérir aujourd'hui.
Les races appartenant à cette espèce sont peu nombreuses et peu distinctes. Comme on n'a jamais cherché à améliorer chez l'oie que la chair, le foie, et la qualité des plumes, on s'est naturellement borné à propager d'un côté les races aptes à engraisser, de l'autre les races blanches.
(1) Et les Egyptiens, et les Romains, et par al mouvance juive les... pays de l'Est comme la Hongrie, la Bulgarie, et l'Alsace...
La civilisation antique avait connu le secret de faire grossir le foie de l'oie ; Rome l'avait trouvé en même temps qu'elle parvenait à la domination de la Méditerranée.
Quand il tombe de la neige, on dit que c'est la Sainte Vierge qui plume ses oies...
Comme les cloches, les oies partent à Rome
Les Gaulois faisaient à Rome un grand commerce d'oies. Il en partait des troupeaux immenses, surtout du pays des Morins (département du Pas-de-Calais). Pline, le naturaliste, rapporte avec étonnement qu'ils allaient à pied jusqu'à Rome, et il remarque que les conducteurs employaient pendant la route une adresse singulière pour faire heureusement parvenir toute la troupe à destination : ils plaçaient au premier rang les oies qui étaient fatiguées, afin que la colonne que formaient les autres, les poussant en avant, elles fussent forcées de marcher. Dans la suite, le commerce des oies, quoique moins étendu, resta toujours en honneur dans les Gaules.
Charlemagne voulait que ses maisons de campagne en fussent pourvues, et un vieux proverbe prouve en quelle estime était l'oie parmi nos pères : "Qui mange l'oie du rot, cent ans après en rend la plume". C'était le grand régal du peuple et des bourgeois. Les oies, prises au pillage d'une ville, étaient réservées, au XIVe siècle, pour le grand maître des arbalétriers, comme on le voit dans la somme rurale de Bouteiller.
Les rôtisseurs n'avaient presque que des oies dans leurs boutiques. De là le nom d'oyers qu'on leur donnait. La rue où ils s'établirent à Paris en prit le nom de rue aux oies, que l'on a plus tard corrompu et changé en celui de rue aux Ours. Aujourd'hui encore, quoique l'oie ait beaucoup perdu de sa réputation culinaire, un certain nombre de villes, telles que Metz, Auch , Strasbourg, Bayonne, s'enrichissent du commerce des oies. Le foie est surtout estimé.
Déjà, du temps des Romains, on savait développer le foie des oies en les nourrissant de figues, comme on le voit dans Horace : Pinguibus et ficia pastum jecur anseris.
Boudin de foies gras
"Pour faire six bouts de boudins, prenez huit foies gras que vous hachez ; faites cuire six oignons avec du bouillon gras, un bouquet de persil, ciboules, une demi-gousse d'ail ,deux clous de girofle, thym, laurier, basilic, un peu de coriandre dans un petit linge. Quand ils font bien cuits, hachez-les très-fin, & les mêlez avec les foies gras ; ajoutez-y une demi-livre de panne coupée en dés ; un demi septier de bonne crème, trois demi-septiers de sang de cochon, sel fin, épices mêlées ; mettez le tout sur le feu, seulement pour le faire tiédir en le remuant toujours de crainte que le sang ne se lie dans le fond ; ensuite vous l'entonnez dans des boyaux comme les précédents, & les faites cuire de même." Mais ça c'était avant que Close invente le pâté de foie gras.
"On sait que Strasbourg fait avec ces foies des pâtés dont la réputation est européenne. Les plumes d'oie sont aussi un objet de commerce, et Champier rapporte qu'elles étaient déjà, de son temps, un des principaux revenus de la Beauce. On suspendait quelquefois une oie comme but du tir dans les fêtes champêtres. Tirer l’oie était encore un jeu en honneur au XVIIIe siècle. Le cardinal de Retz parlant de l'habillement des Parisiens pendant les guerres de la Fronde, les représente les cheveux frisés, le poil ras, en souliers noirs et en bas de soie, comme des gens qui vont tirer l'oie."