Gloire au cul-noir

Article de Bernard Stéphan publié dans Charentes Magazine d'octobre 1982, page 21 et après.

Le cochon Cul-Noir est ainsi appelé en raison de sa robe pie noire. La tête et la croupe sont recouvertes de deux grandes plaques noires nettement circonscrites. Le tronc blanc présente aussi des taches rondes irrégulières.



D'origine ibérique, le Cul-Noir est une race très rustique. Des irréductibles veulent sauver cette race qui donne les grillades les plus parfumées de France.

Avec moins de cent spécimens, le cochon Cul-Noir de Saint-Yrieix-la-Perche est la plus vieille et la plus rare race porcine de France. Quelques mordus veulent sauver la race. Depuis deux ans, à Saint-Yrieix, la frairie des Culs-Noirs sacre le meilleur verrat des quatre cantons autour d'une grande bouffe où triomphe la cochonnaille.

Une opération de sauvetage est engagée en Pays Arédien, ce territoire grand comme quatre cantons, à cheval sur trois départements, la Haute-Vienne, la Corrèze et la Dordogne, pour conserver une des plus vieilles races de cochons de France, le cul-noir de Saint-Yrieix-la-Per-che. Et pour la seconde année consécutive, Saint-Yrieix, la cité de la collégiale et des madeleines, tenait la frairie des culs-noirs en juillet dernier pour savourer une charcuterie au fumet délicieux, juger les plus beaux spécimens de verrats de l'arrondissement et fêter le jambon sur un air de vielle en dansant la gigue. Une opération conjointe de l'association «Les Amis du Moustiers», le Comité des fêtes de la «Salle Atane» à Saint-Yrieix et l'Institut technique du porc. Il fallait éviter, explique un technicien corrézien venu à la fête donner la caution officielle du Ministère de l'Agriculture, l'extinction complète du «Cul-Noir de Saint-Yrieix».



Un cochon noir et blanc, bien fourni en lard, à l'oreille mince et très écartée sur le front lui faisant une «tête de taupe».
Un vétérinaire du pays, membre du jury du concours annuel affirme que c'est le meilleur cochon qui soit, dont le goût n'a jamais été égalé par «le cochon blanc». Et si par hasard, en dégustant une andouille arédienne, vous vous inquiétez de la graisse que fournit la vedette du jour - 100 kg de lard pour un poids total de 200 kg - le vétérinaire expert qui est aussi philosophe, réplique : «Ce n'est pas le gras qui fait mal, c'est la bureaucratie !»

Il pleut dedans
Le cochon Cul-Noir a disparu ou presque quand les fermes se sont vidées, quand la viande de boucherie ne fut plus un luxe pour les campagnes, quand de nouvelles races de porcs, moins généreuses en graisses, mais plus grandes productrices de viandes maigres, furent vulgarisées sur le marché. Le «Cul-Noir» est une race rustique très ancienne puisqu'il occupe tout l'ouest du Massif central depuis bien avant le XVIe siècle. L'ensemble de ses caractères techniques qui la rattache au groupe ibérique d'une pureté remarquable et d'une fixité absolue, montre l'ancienneté de ses origines. Un certain docteur Escorne fut historiographe de la race. Il montre une étonnante vivacité du cheptel qui semble trouver son apogée au milieu du XIXe siècle. Pour lui, le «Cul-Noir» se distinguait par deux variétés, la «petite race» qui avait des formes potelées, des côtes très relevées et des oreilles droites pointées haut en avant. «Il pleut dedans», disent les éleveurs. L'autre variété avait plus de taille, le corps moins épais, les oreilles plus fortes et les soies plus abondantes. Autant de critères qui ont été repris par le jury qui attribue depuis deux ans les prix de la frairie de Saint-Yrieix. De siècle en siècle, le porc a été abandonné pour ne survivre que dans un petit territoire circonscrit en Pays Arédien. Une zone. limitée au nord par Saint-Yrieix et Lubersac, au sud par Lanouaille et Juillac.



Le Salon de Paris
Un agriculteur de Ségur-le-Château, en Corrèze, élevait quelques spécimens pour la consommation familiale. Claude Pécout, par ses antécédents et la qualité de ses animaux, est devenu le promoteur du «Cul-Noir». Un jour, il reçoit une lettre de l'Institut du Porc dans le cadre d'une opération de recensement de l'animal. Méfiance. Claude Pécout est de ces hommes de la terre, un peu saint Thomas, qui veut voir son interlocuteur. «Les gars sont venus, on a alors fait le tour des fermes et c'est reparti.» Ils sont actuellement trois verratiers en Pays Arédien qui opèrent selon les critères officiels de sélection. Au début, explique le spécialiste de la Chambre d'Agriculture de la Corrèze, il fallait savoir l'origine des porcs, leurs antécédents. Mais il n'y a pas de livre généalogique. En 1891, l'idée d'un livre fut lancée à l'occasion d'un Comice agricole à Saint-Yrieix, elle fut abandonnée trois ans après. «Pour avoir des certitudes sur les animaux, nous avons mené des entretiens contradictoires avec les éleveurs. Nous passions régulièrement, nous posions les mêmes questions, nous sommes arrivés à dresser un catalogue des porcs et pour la plupart, nous remontons à la seconde, voire à la troisième génération.» L'opération a porté ses fruits, puisque le cheptel est évalué à soixante truies, trois verrats en service et une dizaine de verrats sélectionnés. «Car notre problème majeur aujourd'hui avec un si petit nombre d'animaux, c'est de tourner très vite pour éviter les risques de la consanguinité.» Néanmoins, la race est préservée, c'était l'objectif de l'Institut technique du porc. La première récompense est arrivée voici peu, le cochon Cul-Noir sera présent au Salon de l'Agriculture de Paris au printemps 1983. Un retour notoire après plus de 80 ans d'absence.



Les tables de la Côte d'Azur
Une quarantaine d'éleveurs sont aujourd'hui dans le coup, ce qui, avec moins de cent animaux, laisse encore bien peu de têtes par porcherie. «C'est un élevage familial comme autrefois. Rien n'indique que le Cul-Noir passera au stade des grands élevages bientôt.» D'ailleurs n'est-ce pas contre nature ? L'originalité de ce porc, c'est sa rusticité et son adaptation. C'est un animal qui n'est pas exigeant, il pâture en liberté dans les prairies et sous le couvert des châtaigniers.
«C'est une bête économique. Sans lui donner un complément de nourriture, si vous le laissez en liberté, il s'engraisse tout seul avec l'herbe, les glands et les châtaignes.»
Pour Claude Pécout, qui est aussi verratier - il est le propriétaire de Pantin, le verrat deux fois primé à Saint-Yrieix - il ne faut pas trop pousser les élevages, car la vente serait mise en difficultés.
Actuellement les petits cochons à la robe pie noire ont un franc succès sur la Côte d'Azur. Là-bas, sous le soleil, les bouchers ont lancé la mode du porcelet à la broche. Et ça marche. Dès que les animaux ont atteint le poids de 12 kg, ils sont expédiés vers les tables gourmandes de Cannes et Nice. Une autre zone géographique fait honneur aux Culs-Noirs à la broche, c'est le vignoble bordelais. «Au moment des vendanges, nous avons un écoulement important en Médoc.»
Mais est-ce bien raisonnable de vouloir relancer une race animale avec moins de cent têtes ? Ici on manque de moyens. Et ce n'est pas la frairie annuelle qui donnera le coup de pouce suffisant. Verra-t-on bientôt la création d'un élevage pilote doté d'un centre de sélection ? «Nous réclamons une telle création, mais un nous répond que les moyens manquent.» Cela n'empêche pas les Arédiens de prendre des contacts avec l'Allemagne pour envisager des actions communes. «Nous nous sommes rendus compte, en effet, que le lander de Souabe, en R.F.A., possédait un porc local qui a les mêmes caractéristiques que le nôtre.» De là à dire qu'il y eut naguère des échanges porcins entre le Limousin et l'Allemagne, il n'y a qu'un pas.



La viande onctueuse
Pour l'association des «Amis du Moustiers» qui a décidé de patronner le concours annuel, la frairie permet de «sauver une antiquité vivante». C'est une bonne occasion de réunir le passé au futur par l'entremise de la gastronomie et au bout du compte de jouer une carte qui pourrait trouver place dans l'économie arédienne. Ce matin-là, ils sont nombreux à s'être déplacés pour voir les plus beaux Culs-Noirs du pays. Et si d'aventure on demande à un éleveur qui présente son unique animal, pourquoi il élève un cochon Cul-Noir, il répond avec certitude «Il y a toujours eu des cochons à la maison et tant que je vivrai il y en aura. S'il y a une guerre, c'est pas de faim qu'on crèvera ! Chez le Cul-Noir le gras et le maigre sont vraiment séparés. Alors que ce n'est pas le cas chez le cochon blanc et chez les cochons anglais. Et quand vous faites cuire une grillade, la viande reste toujours onctueuse.»
Quand le jury rend son verdict, il récompense «Pantin», le verrat de Claude Pécout à Ségur-le-Châ-teau. Le verdict tombe et le jury a bien vu, il n'y a pas de contestation, Pantin a poussé un cri de contentement quand le président lui a mis une claque sur la croupe dodue. Et «Pantin» recevra les gentes cochonnes pour un métier qui fait toute la fierté de son patron et la gloire de Saint-Yrieix, alors que les «couennes» mijotent à l'heure du «marende». Ainsi, va revivre le cochon «Cul-Noir» de Saint-Yrieix-la-Perche, cet animal qui gambade dans les sous-bois, qui donne les grillades les plus parfumées de France, qui triomphe le jour des Comices agricoles, qui va monter à Paris pour pousser un «pet» spectaculaire oublié depuis 80 ans, qui ne répond pas à son nom, mais est d'un abord très sympathique.
Bernard Stéphan

Le syndicat des éleveurs


S'approvisionner en cul-noir BIO c'est possible près de Ruffec au Gaec de Boussimbert (Lessac - 16).




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