Le grillon à la mode des Charentes

Qui n'a pas dégusté du grillon authentique (grattin du Poitou ou grillon des Charentes) ne peut juger de la façon dont on a malmené cette charcuterie rurale. Le grillon ne semble pas être de recette ancienne. Il est absent des guides des chaircutiers des XVIIE et XVIIIe siècle.

Les paysans se nourrissaient récemment encore de ce mets simple au petit déjeuner, au goûter ou lorsque le travail aux champs ne laissait pas assez de temps aux femmes pour cuisiner.



Des pots bien au sec sur une étagère dans la cuisine.

Le grillon était conservé en pot de grès, protégé par une couche de graisse épaisse et du gros sel, recouverte d'un papier kraft maintenu par un brin de rafia.
A partir des années 1970, les ménagères ont constaté que ce mode de conservation devenait impossible. Elles attribuaient ce fléau à « la viande qui n'était plus celle d'autrefois ». L'habitude fut prise de stériliser le grillon mais le goût n'était plus le même.
La composition du grillon est des plus simples : du porc, du sel et pour bien des familles, un peu de poivre. Le bon goût du porc confit dans la graisse pendant des heures se suffit à lui-même, il vaut mieux oublier les 4 épices. De même, il faut se méfier de l'eau car le bouilli de cochon rimé est très désagréable - trop présent aujourd'hui sur les étals.
Mais avant de cuisiner le cochon, fallait-il encore pouvoir le tuer.

 

A La Faye en 1903 : le sieur A. Sorton, voulant saigner un cochon, déposa son couteau sur un mur à proximité de sa main. L’animal se relevant brusquement, le jeune homme fut jeté sur le mur et le couteau lui entra très profondément dans l’épaule. Malgré la gravité de sa blessure, un repos de quelques jours suffira à son rétablissement.

 


 


Prêt à sévir...

Le lendemain de la tuerie de cochon et souvent à la veillée, une marmite en fonte (poellon) était mise à chauffer dans la cheminée. Cette marmite pouvait être celle du fourneau économique.


On humidifiait (très peu) le fond et commençait par faire fondre du gras - on peut utiliser du saindoux de la dernière fois.

Découpe du cochon sur l'échelle.

Les quartiers de porc étaient découpés sur la bête pendue sur une échelle. Un savant coupait de gros morceaux : jambons, longe, la composition du grillon variait selon le nombre de jambons à réserver, le nombre de rôtis, de côtelettes, etc.

Une véritable veillée : toute une compagnie gaillarde (famille, voisins, amis, enfants) équipée de couteaux bien affutés se saisissait des morceaux pour les découper : on disait couper les grillons. On levait d'abord les couennes et on découpait le lard en dés de 1 cm - pour faciliter la cuisson et produire un gillon pas trop gras - et la viande en dés de 4 centimètres au minimum. On découpait ainsi la poitrine, la palette, l'épaule.

Halte à la purée de porc...


Évidemment, on ne déchiquetait pas la viande au moulin (broyeur) comme cela se fait "industriellement" aujourd'hui : ceci est totalement à proscrire. Ce qui est décevant, c'est que ce mets sans artifices, sans difficulté au sens culinaire, c'est que ce grillon soit vendu trop cher. Et que quelques dés de viande sont mêlés à cette chair hâchée  "pour faire plus vrai".


Grillon hachis type commerce. Pas incitatif !

Des commerçants, des restaurateurs, se contentent de vendre du hachis au goût douteux. Le consommateur averti ne se fait avoir qu'une fois, et quand à leur tour les touristes s'aperçoivent du subterfuge, ils oublient vite la Charente. Il ne sera bientôt plus la peine d'élever des porcs ici alors que les producteurs fermiers et bio produisent de la qualité.

Voilà du vrai grillon, du confit de porc !
Ca ne se graisse pas sur une tartine : ce n'est pas de la rillette, et encore moins du Nutella ; et ce n'est pas gras.

Cependant une norme a été établie mais, il faut bien se rendre à l'évidence vu ce que l'on trouve sur les étals... Dénicher une bonne maison est possible mais pas sans patience.

Le grillon charentais en théorie par CL...


Les dés étaient mis à cuire au fur et à mesure. On ajoutait des os : la viande se détachait d'elle même à la cuisson. Un joli bouillonnement se faisait entendre. Un homme, capable de ne pas s'endormir, avec une longue palette de bois brassait inlassablement la mixture pour l'empêcher de rimer au fond du poellon.
L'assaisonnement n'était constitué que de sel (1 cuiller à soupe par kg de viande) et de poivre (1 cuiller à café par kg de viande) d'où ce goût exceptionnel de viande de porc confite au naturel.
Une partie de la graisse était prélevée et mise en terrine (saindoux). Les grillons étaient retirés à l'écumoire encore chauds et versés dans les terrines ou les pots. Le grillon chaud est succulent (on risque une mauvaise digestion) : on attendait donc son complet refroidissement pour le goûter au petit matin. Le gras remontait en partie pour former une couche épaisse sur le haut des terrines. On enlevait l'excédent. Une couche de sel, une protection de papier sulfurisée maintenue par du rafia, et le tour était joué.

Terrine de grillon authentique... et incomplète.
Et miam !
Deux gourmands ont prélevé une bonne tranche de leur oeuvre pour goûter.
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La conservation des grillons
Quelques jours au réfrigérateur. Plus question de les conserver sous une couche de graisse recouverte de sel. La congélation est possible mais pour une durée limitée à un mois afin de ne pas altérer le goût. Les grillons stérilisés - façon légumes - perdent une part de leur saveur mais offrent un côté pratique pour le pique-nique.

Remarque : au lieu de hacher mécaniquement la viande de porc, les professionnels devraient couper cette viande au couteau comme antan - le grillon est vendu au moins 10 euros le kg, le porc est acheté au maximum quelques piècettes le kg. Il serait sans doute utile de mettre au point un outil mécanique de découpe. Et non un broyeur. Nombreux sont les connaisseurs à ne plus acheter de grillon. Et à le fabriquer eux-mêmes dans une cocotte en fonte.

A noter que la charte de qualité du grillon charentais a été créée en 1998.



Les Saintongeais remplacent le terme grillon par gratton : "Goulebenëze s'écriait que nous habitions le pays... des mangeurs de gratton..."

Toutefois certaines régions de Charente-Maritime ont une toute autre pratique que la Charente.

Ainsi on peut citer Michel Massian, La goraille en presqu'ile d'Arvert, SEFCO Aguiaine tome XI nov.-déc. 1977, page 431.

"Le gratton : je découpais le lard, qui est la viande à gratton, en dés de un centimètre-cube. J'y ajoutais des parures d'épaule, des parures à jambon, et je versais le tout dans la graisse qui commençait à cuire. On remuait le brassour qui avait la forme d'une petite rame, et était rangé le reste de l'année avec tout le matériel de la goraille.
Dans ce qu'on appelait les « gros grattons » (1), on mettait le haut de côtelettes, les « parisiennes ». On salait au gros sel. On poivrait, on relevait d'un peu d,épices. Quand l'eau se retirait, on sortait le gratton du feu. Mais souvent par ici il n'était pas fameux parce que les gens coupaient le lard en gros morceaux pour économiser le maigre.


(1) Comme les rillons en Touraine.

Le confit qui ne se fait plus du tout aujourd'hui. C'était de la bonne viande cuite dans de la graisse. On prenait les morceaux qui se tiennent, les noix de côtelettes, on leur faisait prendre un bain de sel et de poivre de 48 heures, de façon que la viande perde son jus et, à ce moment là, on la mettait à cuire dans de la graisse fondue de l'avant-veille (2). Le confit était à point lorsque l'on pouvait y enfoncer une paille de balai ou une aiguille de pin. La viande commençait alors à dorer. On l'égouttait bien, et on la plaçait en pots sous une bonne couche de graisse.
Il y avait beaucoup de causes d'échec. La plus fréquente était que les gens voulaient aller trop vite ; la viande perdait pas son sérum, et elle moisissait.


(2) Comme le confit d'oie ou de canard.

Les grillons : on ramassait alors le fond du chaudron où avaient cuit la graisse et les grattons. On pressait tous les morceaux qui n'avaient pas fondu, dans un torchon comme des groseilles. C'étaient des grillons (2). Assaisonnés de poivre, sel et épices, on les mettait à refroidir sur une assiette et on les conservait dans des pots de verre en prenant bien garde de ne pas introduire d'air dans les récipients, qui les aurait fait moisir."

(3) Ou des cretons, grignons. Lire plus bas.


Intermède : le graton (deux vidéos à ne pas prendre en exemple pour le grillon)
 






 


Les grillons du Limousin (blog perso)

"Tu es un vrai Limousin si tu sais que les grillons limousins et le graton creusois c’est la même chose, mais que les grillons limousins et les grillons charentais c’est pas la même chose…"
Le grillon limousin est originaire des départements de la Haute-Vienne et de la Creuse (où en parle plus volontiers de grattons). Il s'agit d'un pâté à la texture grossière, confectionné à base de panne et de poitrine de porc et assaisonné de poivre, persil et ail. Il se déguste traditionnellement avec des tourtous.

Une recette de grillon limousin


Les rillettes
Des Charentais confondent parfois grillons et rillettes : quel dommage que ces gens s'éloignent de leurs racines...

Définitions selon diverses sources
Les grattons (source Dico)
Les grattons (plus rarement orthographiés gratons) appelés aussi griaudes, grillaudes ou encore grillons constituent un plat traditionnel de plusieurs régions françaises, notamment en Auvergne, dans la région lyonnaise mais aussi Saintonge, Angoumois, Morvan ou encore Guyenne.

Et selon le Glossaire des parlers du centre (1855)
Les rillons sont les morceaux qui ont fourni la graisse fondue. La rillonnée, rillounée ou rillelle, se compose des menues parcelles restées au fond du vase après l'enlèvement de la graisse fondue et des rillons. Souvent on ajoute aux rillettes des rillons hachés menu et mêlés avec d'autres viandes; on en vend chez les charcutiers de Paris, où elles figurent avec des étiquettes spéciales, par exemple : rillettes de Tours.
Grillon : résidu croquant de la graisse du porc après qu'on l'a fait fondre.

Gâteau aux cretons, grillons ou grignons. (Manuel du charcutier, 1827)
Les habitants de la campagne se font un régal de ce mets, ignoré des Parisiens, qui ne le trouveraient probablement pas merveilleux... (En Charente on les nommerait grattons.)
...Lorsque vous avez fait fondre du saindoux, il est resté de petits morceaux d'une nature sèche, cassante, quoique grasse, et d'une couleur brune : ce sont les cretons, grillons ou grignons ; étendez-les sur un torchon blanc et saupoudrez-les de sel fin; songez ensuite à préparer de la pâte, à dresser à deux tours, et un peu molle. Dès que vous aurez placé sur la table ou tour à pâte la farine avec un creux dans le milieu pour retenir d'abord l'eau, le sel et les œufs, vous joindrez une petite quantité de cretons à ces diverses choses ; vous pétrirez la pâte ; au premier tour vous étendrez une partie des cretons sur la table, et les incorporerez au gâteau ; au second tour vous mettrez le reste, et l'incorporerez de même : vous terminerez comme on a coutume pour un gâteau ordinaire.

Fabrication des rillons et rillettes de Tours (1831)
Deux des meilleurs produits de la charcuterie française, les rillons et rillettes, ne se préparent que dans quelques villes du centre de la France ; c'est à Tours, surtout, ou du moins à Rochecorbon, petit pays situé à deux lieues de là environ, que l'on excelle pour cet article. Comme on ne peut trop répandre les bons procédés relatifs aux substances alimentaires, nous nous faisons un devoir de publier les renseignements suivants qu'un gastronome tourangeau nous adresse à ce sujet.
On prend du porc frais en quantité indéterminée (on a soin de choisir les parties charnues où le maigre se trouve entremêlé de gras), et on le coupe en morceaux dont la grosseur varie du volume d'un très gros œuf de pigeon à celui du pouce. On met tout ces morceaux, avec une petite quantité d'eau, dans une bassine de cuivre qu'on expose à la flamme d'un feu de bois très clair et très ardent. Les parties grasses des morceaux de porc ne tardent pas à se fondre en partie, et la graisse qui s'écoule remplace l'eau qui s'évapore graduellement. On ajoute la quantité de sel nécessaire, puis on continue à entretenir l'ébullition en remuant et en comprimant la chair avec une écumoire, jusqu'à ce que l'eau soit totalement dissipée, et que les morceaux soient bien cuits et aient acquis une teinte brune foncée. Alors on enlève tous les morceaux, et on les fait égoutter : ce sont les rillons qui forment un manger délicieux, surtout lorsqu'ils sont encore chauds.
On laisse ensuite déposer la graisse, et, lorsqu'elle est transparente, on la tire à clair. On trouve au fond du vase des particules plus ou moins fines de chair, qui se sont détachées des morceaux pendant la coction ; on les sépare le mieux possible de la graisse avec laquelle elles sont encore mêlées, et elles constituent ce qu'on nomme les rillettes, que l'on renferme dans des pots de grès et que l'on garde pour l'usage.
Les rillons ne se conservent pas comme les rillettes ; ils perdent, par leur exposition à l'air, une partie de la saveur agréable qui les fait rechercher ; mais on parvient, en les plaçant dans du saindoux, ou mieux encore dans les rillettes elles-mêmes, à les garder sans altération pendant un temps plus ou moins long ; cependant nous répéterons encore que, quelque bien conservés qu'ils soient de cette manière, ils n'approchent pas, pour la saveur, de ceux qui viennent d'être préparés.

Rillettes de Tours (Maison rustique des Dames, 1859)
"Lorsqu‘on se propose de faire des rillettes, on ne met pas, en faisant fondre la graisse du porc, autant de soin à enlever toutes les parties de chair, et on ne laisse pas fondre la graisse aussi complétement. Il faut que les rillettes soient bien grasses. Pendant que la graisse fond, on y fait cuire pendant dix minutes la moitié du foie avant de le hacher. On le retire avant parfaite cuisson ; on enlève les parties qu‘on ne pourrait pas bien hacher, et on hache très-menu ; puis on pile, si c’est possible. On hache et on pile ensuite les résidus de la graisse, on mêle le tout et on sale fortement. On remet la préparation sur un feu doux, et on fait cuire pendant une demi-heure en remuant fréquemment, sans laisser arriver au degré de l'ébullition; puis ou laisse refroidir en remuant de temps en temps pour éviter que la graisse se sépare de la chair. Lorsque les rillettes sont froides, on les met dans des pots très-secs. Elles se conservent deux mois en hiver, et un mois tout au plus en été. On peut y mettre du poivre et même des épices ; mais les rillettes du commerce ne sont assaisonnées qu'avec du sel."

Rillons (gros grillons en Charente)
On coupe des morceaux de poitrine de 15 centimètres de long sur 5 à 6 de large, qu’on dépose dans un vase de faïence pendant vingt-quatre heures, avec du sel et un peu de poivre ; puis on les fait cuire dans la graisse en la faisant fondre. Lorsqu'ils sont bien cuits, on les met dans un pot bien sec, qu‘on remplit de graisse. On couvre. On ne mange pas ordinairement les rillons froids ; on les fait réchauffer dans la poêle, avec une partie de la graisse dans laquelle ils sont conservés.
Rillettes (autre 1859)
Elles sont composées de hachis de porc rôti et de graisse de lard, le tout étant fondu et bien amalgamé. On peut les préparer de la manière suivante : on coupe par morceaux de la grosseur du pouce tout au plus une certaine quantité de porc frais bien entrelardé : on met tous ces morceaux avec une petite quantité d'eau salée dans un poêlon sur un feu clair et ardent. Pendant la cuisson, il faut entretenir le feu au même degré, remuer continuellement les morceaux et les comprimer avec l'écumoire, jusqu'à ce que l'eau soit complètement évaporée. Les rillettes doivent alors être parfaitement cuites et colorées d'une teinte brune. On les égoutte et on les conserve dans un pot, recouvertes d'une couche de graisse fondue. Les rillettes de Tours sont particulièrement estimées.
 



Rillettes version québécoise (à voir absolument).



Rillettes du Mans
Un site officiel qui ne ravira pas ceux du Mans.

Rendons à Conneré ce qui appartient à Conneré.
Confrérie des rillettes sarthoises.


Conclusion rillettes : on fait aujourd'hui des rillettes à tout, donc attention si un jour votre chat venait à disparaitre...



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