La forêt de Ruffec
En 1932, la société "L'Arbre et l'Eau" tient congrès et visite Ruffec et sa forêt, Nanteuil-en-Vallée et sa pisciculture. Le rédacteur de la première partie concernant Ruffec et sa forêt semble avoir beaucoup fumé, la mousse de vieux chataigniers peut-être... Mais nous le remercions pour son travail qui aujourd'hui a forcément une valeur historique.
Ruffec-sur-Lien
Ruffec-sur-Lien, proprette capitale de cette petite contrée de claires eaux, de verts bocages, et de fécondes glèbes... fut de tous temps, centre réputé du gastronomie. Et toujours et encore il y fait bon, boire et manger. en raison de ses réputés vins gris, issus de treilles séculaires, de la finesse de ses selles d'agneaux. de l'exquise planture de ses poisons, et de ses délicats pâtés du lieu, et si variés. Ruffec, fière d'autre part de commander à une région, où, dans le cadre de la belle nature charentaise, et tel un splendide musée, au grand air, se succèdent et s'alignent un merveilleux ensemble d'abbayes, de châteaux et d'antiques logis. Ruffec d'ailleurs, non sans lustre ni grandeur, en raison de son célèbre château qui toujours fut si bien en «Cour royale», et du fait des Saint-Simon, père et fils, sous les grands règnes puis à l'époque de Louis XVI, en raison de l'action de ce gentilhomme de progrès, le Comte de Broglie, Marquis de Ruffec (erreur rectifiée car l'auteur oublie que le comte de Broglie n'est seulement que le frère du duc de Broglie), qui... émule de Montalembert, issu d'un très proche castel de ce nom, et créateur de la fonderie de Ruelle... prétendit à son exemple, créer un autre cendre industriel au «confluent du Lien - petite Touvre et non moins. mystérieuse - et de la Charente, par lui rendue navigable ! Bien curieuse figure, en vérité, que celle du comte de Broglie, Marquis de Ruffec, relevant de l'école économique de Turgot... venu à ce titre maintes fois à Limoges, déjà métropole, et qui dès ce temps-là, à l'instar et en accord, semble-t-il, avec nos «Pionniers Limousins», fit tant en cette région pour la cause des Arbres et des Eaux.
… Pays de «Terre Promise» pour les arbres, avec la tant belle Forêt de Ruffec.
… Pays d'«Eaux promises» pour les poissons, et au proche et insigne château de Verteuil, avons-nous dit... et en l'abondante source du Lien, gros et clair ruisseau sorti des flancs mêmes de la colline de Ruffec... et en la fraiche vallée de Nanteuil. aux vertes rives de l'Argent, et aux abords, en aval d'une source pétrifiante, où les moines d'une légendaire abbaye, avaient implanté, de temps immémoriaux, les fortes et prolifiques méthodes d'une aquiculture où ils ont toujours excellé !
La Forêt de Ruffec s'étale au nord de la ville
Les Hauts-Plateaux du Limousin, sont parfois considérés, par rapport au Massif Central, comme solides bastions, épaulés d'autre part, par de nombreuses collines, de constitutions toujours archéennes, et qui, inclinées de plus en plus doucement vers l'ouest, finissent par atteindre la région des calcaires, en chaudes terres charentaises.
Et nouvel artifice de fortification, il semble que Dame Nature, pour mieux protéger nos massives Acropoles, ait dressé et mis en oeuvre, comme un dernier rempart de fascines, sous la forme de ce long circuit de forêts et de bois, qui partant des lointains de la Double Périgourdine, et prenant notamment en la zone charentaise les noms de Forêts de la Roche-Beaucourt, d'Horte et le Dirac.., du Bois-Blanc et de la Braconne, des beaux boisements de la Boixe et de la Tremblaye de Verteuil, s'en va finir, au-delà de l'insigne forêt de Ruffec, aux plaines poitevines de Chef-Boutonne.
La forêt de Ruffec est une belle chose, et telle une sylvique entité de bucoliques Amours... sur Elle, veille une séduisante héroïne, fidèle aux sèves familiales. la grave voix du passé... et qui entend ne laisser profaner ni abattre, sans plausible raison, aucune des magnifiques colonnes de ce temple toujours voué à la mémoire et au culte de la Diane chasseresse.
Tout y est de grand style : partout s'impose l'harmonie d'une sylviculture bien conduite... et dans ces majestueuses avenues, faisant penser aux grands cortèges d'autrefois, aux fanfares de chasse... et mieux encore, en telle ou telle discrète clairière de cette émotive forêt, où comme en nulle autre, si bien s'impose et domine l'idée abstraite du calme et de l'Idylle!
Ah quel lieu exquis pour l'âme, que ce site notable, où, comme flèche vers le ciel, s'élève le pittoresque «Pavillon des Loges»... où parfois, semble-t-il, il doit faire si bon à vivre, en toute intensité, certaines formes de la vie pathétique... ou dolente.
Quel prestigieux mystagogue, que ce Forestier Poupard... en sa chaude évocation de ces bois sacrés, où tout est de vivante beauté, et où, fervent conservateur, il labeure avec la même foi que, Poète, il met à exprimer, hélas, sa plaintive élégie !
«L'héroïne»... et son apparition, en cette singulière ambiance... l'Héroïne venant à nous, sans nulle Dame d'atour, en sa plastique fine et souple, en son masque de ligues pures, avec ses yeux magnifiquement ouverts, calmes... et si accueillants... nous fut comme énonciateur d'une admirable réalisation de l'Irréel.... !
... Et comme en une prestigieuse vision, aux sèves nationales de notre plus lointaine histoire, émerveillés et séduits, nous nous mimes à suivre dans «Forêt», celle qui nous apparaissait alors, telle une Sur-Femme et bien véridique «Fille des Druides !»
La forêt de Ruffec par M. Poupard, conservateur des Eaux et Forêts
Description et considérations générales
La forêt particulière de Ruffec, d'une étendue totale de 58 hectares 50 ares, y compris 5 hectares 8o ares de terrains de garde, de prairies et de coteaux boisés, dépendant des bordures du château de Bois-Vert, attenant à la forêt, est située dans le département de la Charente, au Nord et aux abords immédiats de la petite ville de Ruffec, de laquelle elle n'est distante que de un kilomètre dans sa partie Sud.
Elle se répand sur le territoire des quatre communes de Ruffec, Condae, Taizé-Aizie, Les Adjots, de l'arrondissement de Ruffec, et dépend du patrimoine de Mme Jean Dupuy, demeurant 3, rue Albert-Magnard, à Paris.
Constituée par un seul massif forestier homogène, formant bloc, dépourvu d'enclaves et de vides, elle est traversée dans la direction Nord-Sud, par la route nationale de Paris-Bordeaux, et par la voie ferrée Paris-Bordeaux, de la Compagnie des Chemins de fer du P.-O. La portion centrale du massif est distante de 3 kilomètres environ de la gare de Ruffec.
Parfaitement aménagée sur le terrain, en coupes bien distinctes et bien délimitées, d'étendues variables, elle est parcourue du Nord au Sud et de l'Est à l'Ouest, par de larges allées forestières empierrées, constituant d'excellentes voies de vidange, et par des laies sommières, layons et lignes séparatives de coupes, presque toutes perpendiculaires entre elles, facilement utilisables, également pour la vidange et le transport des bois. Les allées forestières, dites de Madame et du Pontreau, d'une largeur moyenne de 6 mètres, sillonnent la forêt du Nord au Sud, parallèlement à la route nationale de Paris-Bordeaux, et les deux allées des Loges et des Bauges, de même que les précédentes, la traversent de l'Est à l'Ouest, dans une direction perpendiculaire à celle de la route nationale. Parallèlement et perpendiculairement à ces allées forestières principales, ont été ouvertes sur le terrain, avec une largeur moyenne de 4 mètres, de nombreuses laies sommières, lignes et layons, formant limites de coupes et de lots, et pouvant être utilisées comme chemins de vidange.
D'après la carte géologique du département de la Charente, dressée par Coquaud, le sol de la forêt de Ruffec est constitué en majeure partie par les sables et argiles des terrains tertiaires et en lisière Sud-Est, sur une très faible étendue, par l'oolithe inférieur des terrains jurassiques. Sur l'ensemble, le sol meuble, profond et frais, de grande fertilité, riche en humus, forme des terres à bois de qualité exceptionnelle, justement renommées dans la région charentaise.
Les essences dominantes sont :
Compacts, bien venants, très denses, dépourvus de vides et clairières, les peuplements sont traités en taillis sous futaie, à la révolution moyenne de 20 ans, afin de pouvoir utiliser avec leur maximum de qualité et de rendement, les perches et brins des taillis de châtaignier formant le revenu principal de ces terrains boisés et qui, à un âge d'exploitation plus élevé, ont tendance à se détériorer et à se déprécier par la roulure du pied. A l'âge de 20 ans, les perches dominantes des taillis de châtaignier de la forêt de Ruffec, atteignent, dans ces terrains très fertiles, des dimensions exceptionnelles en diamètre et en hauteur, parfois 0 m. 20 à 0 m. 25 de diamètre, sur 12 à 15 mètres de hauteur, et produisent du bois d'industrie de qualité parfaite, dense, homogène, sans roulure ni noeuds vicieux, très recherché pour la fente et le sciage et justement apprécié pour la fabrication des merrains des parquets, des échalas de vigne, treillages de clôture, etc...
C'est grâce à la présence du châtaignier dans les taillis, à ses fortes dimensions et à ses qualités exceptionnelles, que les coupes de la forêt de Ruffec ont atteint des prix de vente si élevés, - 20.000 francs l'hectare, à l'âge de 22 ans (exemple : une coupe de taillis sous futaie, du canton de l'Aumonier, exploitée en 1930, à l'âge de 20 ans, sur une superficie de 8 hectares 80 ares, a été vendue sur pied à l'amiable, 178.500 francs en 1930, soit à raison de 20.280 francs l'hectare).
Des taillis simples, d'acacias, âgés de 20 à 22 ans, provenant uniquement de plantations, se sont également vendus, en 1930, près de 12.000 francs l'hectare, sur pied, avec réserve de 80 à 100 brins de l'âge à l'hectare.
Un revenu net de 500 francs par hectare et par an environ, a donc été produit par le reboisement de ces excellents sols forestiers de Ruffec. De récentes plantations de châtaignier viennent d'être exploitées pour la première fois, à l'âge de 20 ans, avec réserve forte de baliveaux, et ont également produit le même revenu.
Également bien venantes, les cépées de chêne et charme des taillis, produisent d'excellent bois de chauffage recherché pour la consommation locale des habitants de la ville voisine de Ruffec. D'un transport facile et peu coûteux, en raison de la proximité de la ville de Ruffec, les bois de chauffage de cette forêt se vendent bien, à prix rémunérateur.
Les coupes de taillis de la forêt de Ruffec sont parsemées de très vieilles réserves, principalement d'essence chêne, avec quelques hêtres et charmes, de fortes dimensions diamétrales, pour la plupart ; dépérissantes, roulées, cadranées, atteintes de pourriture rouge et de maladies crytogamiques, de vieillesse, attaquées par les insectes xylophages, et qu'il est nécessaire d'exploiter sans retard au moment du passage des coupes ordinaires de taillis, pour maintenir les peuplements en bon état de culture forestière, et pour assurer sans perte la réalisation de ce capital forestier improductif, appelé à se déprécier dans l'avenir.
Ces peuplements de taillis sous futaie sont également insuffisamment garnis de jeunes réserves d'avenir, baliveaux et modernes, qui auraient dû être réservés lors des coupes précédentes, pour assurer l'enrichissement de la forêt en bois de service ou d'industrie, essence chêne. Bien choisis parmi les brins de semence des taillis, ces jeunes chênes atteignent de fortes dimensions en forêt de Ruffec, où les arbres de futaie chêne sont particulièrement bien venants et de très bonne qualité de bois, avant complète maturité. Les chênes sains, exploitables, y sont recherchés par le commerce des bois, qui y paye le mètre cube sur pied, un prix atteignant parfois le double de celui du mètre cube chêne des forêts domaniales voisines, à sol calcaire, aride et sec, de Braconne et Bois-Blanc, en raison des facilités de transport, et surtout en raison de la qualité remarquable de ce bois de chêne, dépourvu d'aubier, de grain très fin, propre au tranchage et au déroulage, de fente facile, et apprécié pour la fabrication des merrains servant au logement et au vieillissement des eaux-de-vie de la région de Cognac.
POUPARD.