Foie gras : la méthode

Le texte de cette page est tiré du dictionnaire Universel du XIXe siècle, 1872. 

NOTE IMPORTANTE : L'intérêt de ce texte de 1872 qui a forcément des similitudes avec d'autres parties de cette étude fait qu'il mérite cependant d'être publié ici en entier. D'autant qu'il est précisé la recette de Close et comment on fabriquait à Strasbourg avant sa fameuse découverte des terrines de foie gras : ce qui explique qu'à Paris l'Hôtel des Américains proposait ces produits.

Foies gras
Les foies gras servent à la confection des pâtés et des terrines, ils proviennent ordinairement d'oies que l'on engraisse spécialement pour leurs foies, chacune dans une cage tellement étroite, qu'il leur est impossible de bouger en aucun sens. Trois fois par jour, on les gorge de maïs ; le vingt-deuxième jour, on ajoute au maïs quelques cuillerées d'huile de pavot ; on leur donne à discrétion de l'eau dans laquelle on a mis de la braise de boulanger pour l'empêcher de se corrompre ; au bout d'une quarantaine de jours, l'animal est devenu tellement gras qu'il ne peut plus respirer, pour ainsi dire il est temps de le tuer, si l'on ne veut pas qu'il meure par excès de graisse ; il pèse de 7 à 8 kilogr., et son foie n'en pèse pas moins de 2 ; on peut aussi engraisser à l'aide d'une pâte de fleur de farine et d'antimoine.
C'est à Strasbourg et à Toulouse que l'on rencontre les foies gras les meilleurs, ou du moins ceux qui jouissent de la meilleure réputation c'est grâce à la qualité de ces foies que les pâtés de Strasbourg et ceux de Toulouse ont acquis leur renommée qu'ils partagent avec les terrines de Ruffec et celles de Nérac. De tous les pâtés de foie gras, le meilleur, le plus compliqué est le gros pâté aux truffes; nous donnons ci-dessous la manière de le préparer. La formule des autres pâtés de foie gras est à peu près la même.

Gros pâtés de foies gras aux truffes. (Recette)
Ces pâtés se font avec six gros foies de Strasbourg qu'on laisse dégorger deux heures à l'eau froide ; on les met ensuite dans une casserole d'eau froide sur le feu; dès que l'eau commence à bouillonner, on retire les foies pour les jeter dans une grande terrine pleine d'eau franche. Lorsqu'ils sont refroidis, on les pare en ôtant les fibres et les parties qui se trouvent avoir touché à l'amer. Chaque foie sera coupé en deux parties, et parmi les douze morceaux, on en choisira trois, les plus petits, pour les couper en escalope et les mettre dans une casserole avec deux livres de lard blanchi, pilé et passé au tamis à quenelle ; on y ajoute quelques échalotes, du persil, des champignons, des truffes qui ont subi la même préparation, et on sale. Ce mélange sera mis sur un feu modéré pendant un quart d'heure, après quoi on le versera sur un plafond pour qu'il refroidisse.
Pendant qu'il refroidit, on épluche 1 kilogr. 500 gr. de belles et bonnes truffes de Périgord, et on coupe six autres truffes semblables en lardons ordinaires ; à l'aide d'un morceau de bois pointu et de la grosseur des filets de truffes, on pique les foies et on introduit les filets un à un dans chaque trou.
On dresse les foies ainsi truffés comme pour un pâté ordinaire ; on commence par broyer dans un mortier les escalopes de foies passés aux fines herbes, dont il a été parlé ci-dessus; on y joint leur cuisson, on mêle le tout en y ajoutant quatre jaunes d'œufs et deux truffes coupées en petits dés. On met le tiers de cette farce dans le pâté on place dessus trois morceaux de foie, que l'on saupoudre de sel on masque de farce ; on met dessus deux des truffes que l'on a épluchées et que l'on coupe chacune en deux ; puis encore trois morceaux de foie gras que l'on couvre de la moitié du reste de la farce, puis de plusieurs truffes entières ; enfin les trois derniers morceaux de foie, qui doivent être les plus gros et les plus beaux on entoure d'une douzaine de truffes ; on sale, on masque du reste de la farce, on recouvre d'une livre de bon beurre, et on termine le pâté de la manière ordinaire ; deux heures de cuisson suffisent. En le sortant du four, on verse dedans un verre de bon vin d'Espagne, et on le bouche hermétiquement.

Origine historique
On connaît la célébrité des pâtés de foie gras de Strasbourg; mais peu de personnes en savent l'origine. Elle est historique. Le maréchal de Contades, gouverneur militaire de la province d'Alsace, de 1762 à 1788, y avait amené son cuisinier, nommé Close, Normand de naissance. On faisait, en Alsace, grand cas du foie des oies engraissées, et ce foie, condensé en terrines, y passait à juste titre pour un mets à la fois substantiel et délicat. Close comprit ce que le foie gras pouvait devenir dans une main d'artiste, et avec le secours des combinaisons d'un habile praticien culinaire, il conçut l'idée de l'élever, sous la forme de pâté, à la dignité d'un mets souverain, en l'affermissant et en en concentrant la matière, en l'entourant d'une douillette de veau haché que recouvrirait un fine cuirasse de pâte dorée et historiée. Le corps ainsi créé, il songea à lui donner une âme.
Close la trouva dans les parfums excitants de la truffe du Périgord. En un mot, il inventa le pâté de foie gras tel que nous le connaissons.
L'invention de Close resta un mystère dans la cuisine de M. de Contades, et c'était chez lui seulement qu'on mangeait de ce pâté.
Tant que dura son commandement en Alsace, le pâté de foie gras ne franchit pas sa table aristocratique ; mais le jour de la publicité et de la vulgarisation approchait avec la Révolution. 
On était en 1788 (1) ; le maréchal de Contades quitta Strasbourg et fut remplacé par le maréchal de Stainville. Close, fatigué de servir un grand seigneur, et amoureux par-dessus le marché, se décida à rester à Strasbourg. Il s'était épris de la veuve d'un pâtissier français nommé Mathieu, il l'épousa. Il confectionna pour le public, et vendit depuis lors les pâtés qui avaient fait les délices secrètes de la table de M. de Contades.
C'est de ce modeste laboratoire que le pâté de foie gras est parti pour faire le tour du monde. Les pâtés de foie truffés les plus estimés sont ceux de Deschandeliers de Ruffec. Leur réputation bien méritée est universelle.
(1) On trouvait déjà du pâté de foie gras à Paris en 1787.




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