Témoignage de Geneviève Davoigneau
(Dimanche 10 juin 2007 dans Représailles)
"Le 28 août 1944, une importante colonne allemande (entre 600 et 1000 hommes), composée d'éléments de divers convois routiers et ferroviaires regroupés en Charente, essaie de remonter vers la zone de combat en utilisant la route départementale N°1 de Ruffec vers Civray et Poitiers.
Arrivés au village du Pont de l'Isle à Taize-Aizie, le convoi est arrêté devant le pont de la Charente saboté par la Résistance quelques jours auparavant.
Geneviève Davoigneau, petite parisienne d'une dizaine d'années, vit pour plus de sécurité au cours de cet été 1944 chez ses grands-parents au village du Pont de l'Isle. Plus de soixante ans après, elle raconte avec précision ce qu'elle a vu et vécu au cours de ces évènements qui ont marqué son enfance.
Ce 28 août 1944, il était environ cinq heures du matin, mon grand-père est sorti ayant entendu le bruit de la troupe sur la route ; il nous a alors demandé instamment (ma grand-mère, ma mère, mon frère, un petit cousin et moi) de nous lever et de nous habiller afin d'être prêts à fuir. Puis il est parti en nous disant : «...»
Comme il y avait des échanges de tirs avec les FFI, nous sommes descendus à la cave durant de longues minutes qui nous angoissaient. Alors, ma mère inquiète est montée regarder par la lucarne du grenier et est revenue rapidement nous disant : «...»
Nous sommes donc sortis, nous nous sommes dirigés vers Chigné (vers la Charente) mais les soldats allemands nous tenant en joue nous en ont empêchés et nous ont intimé l'ordre de partir vers la route. A ce moment-là, ma grand-mère a pensé que nous allions subir le même sort que les habitants d'Oradour-sur-Glane et nous a dit : «Nous allons tous brûler au pailler de Maurice Fairon !»
Nous avancions avec la peur au ventre, un soldat allemand à la sortie du village nous a encore ordonné de descendre vers la route. Ma grand-mère lui a dit qu'il n'y avait que des femmes et des enfants et il a répondu : «Si, là, Monsieur dort !». C'était Maurice Fairon qu'ils avaient abattu comme un chien devant sa femme et ses enfants. Ils avaient laissé aussi Charles Joly, vieil homme paralysé, brûler dans sa maison.
Mon grand-père n'avait pas pu s'approcher de la route pour les prévenir mais il avait réveillé les familles Cherprenet et Rouffaud qui avaient pu fuir vers la Charente grâce au brouillard intense qu'il y avait ce matin-là.
Quant à nous, nous avons obéi, emprunté la route et nous nous sommes réfugiés chez mes grands-parents maternels, Auguste et Alida Lerouge, au village de Chantemerle situé près de la ligne de chemin de fer où les voies avaient été sabotées afin de bloquer les convois de troupes allemandes.
Mon grand-père Lerouge avait été tenu en joue toute la nuit par les soldats qui perquisitionnaient la ferme, cherchant des FFI, qui heureusement n'étaient plus dans le village.
Nous venions de quitter une galère pour entrer dans une autre. Mon grand-père Davoigneau qui avait donné l'alerte dans le village de l'Isle n'avait pu nous rejoindre par la suite et ce n'est que le lendemain que nous nous sommes retrouvés, sains et saufs avec beaucoup d'émotion.
Le retour au village fut terrible pour chacun, ce n'était plus que ruines calcinées. Les récoltes abondantes dans les greniers à cette période de l'année se consumèrent pendant des semaines, dégageant une odeur de sinistre que je n'oublierai jamais ainsi que le spectacle de désolation où les biens et les souvenirs de tous avaient disparu.
Plus de 62 ans se sont écoulés depuis cette tragédie et ces moments dramatiques restent gravés dans ma mémoire. Il est dommage que cette période de l'histoire vécue dans notre petit village ne soit pas connue des plus jeunes, car déjà oubliée par les générations précédentes.
Textes et éléments recueillis et transcrits par Jacques Rigaud.
L'information est très détaillée sur le site du CGCP, incontournable :
http://www.cgcp.asso.fr/leblog/taize-aizie/la-tragedie-de-lisle/